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Page:Alain - Système des Beaux-Arts.djvu/262

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SYSTÈME DES BEAUX-ARTS

qu’il y a de folie dans leurs opinions. La toge des anciens, si différente du vêtement de bataille, était un bel avertissement. Le jeune homme qui la prenait se séparait des grâces de l’enfance. L’homme qui la reprenait s’enfermait de nouveau dans la sagesse juridique, pour qui vaincre n’est pas le tout. Ici l’homme cache aux autres ses propres tumultes, dans le dessin de les apaiser. Il se renferme, non pour tromper, mais pour ne pas se tromper. La toge couvrait même le visage, dans les grandes afflictions. On cite le trait sublime de ce peintre ancien qui ne sut représenter la douleur d’un père que par une figure ainsi voilée. Ce mouvement n’est-il pas une défense aussi contre soi ? Ne nous trompons pas sur les douleurs voilées ; il faut qu’elles pensent. Cette pudeur des sentiments ne s’est point perdue. Mais le propre des anciens, il me semble, était de prendre les mêmes précautions contre les passions moins cruelles, mais tout autant convulsives, qui naissent en toute société dès que le mouvement des pensées se traduit en actions. Ce désordre est trop visible dans notre éloquence, privée comme publique. Mais il est rare que l’on soit ici, spectateur ; aussi ce désordre ne m’apparut que sous les traits d’un orateur de marbre en costume d’ouvrier. Ainsi, dans les statues, comme dans un miroir, voyons-nous mieux la raison et la folie, sous l’aspect du beau et du laid. Et puisqu’ainsi le marbre est juge, c’est la toge qui lui convient encore le mieux.