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Page:Alain - Système des Beaux-Arts.djvu/268

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SYSTÈME DES BEAUX-ARTS

tesse ; c’est ce qui est assez fortement inscrit dans beaucoup de portraits et même dans quelques bustes, surtout dans tous ces visages habillés et composés, qui se font une pensée sans corps, ou d’ornement, et qui cachent si bien l’autre ; il est vrai de dire qu’ils se la cachent aussi à eux-mêmes. De quoi le vêtement n’est pas la cause principale peut-être, mais il en est du moins le signe. La peinture se joue dans ces ruses du sentiment ; mais la sculpture, ayant d’autres moyens, veut plus de force pensante et moins de vêtement. Le sculpteur va donc au nu, sans pouvoir toujours oser jusque là. Car avouons qu’il faut une forte tête pour vaincre le vêtement.

Mais considérons un Descartes ou un Pascal. Nous les voyons toujours qui cherchent terre. Car les pensées de tête sont un peu trop ce qu’elles veulent ; et le pouvoir de combiner, qui donne tant de plaisir aux médiocres, lasse bientôt les maîtres. Ils cherchent donc la terre du pied, et relient leurs plus hautes pensées à leurs plus petites misères, afin de faire penser le corps aussi ; d’où le « Traité des Passions », où le penseur marche sur la terre ; d’où la terreur de l’autre aussi, qui voit l’abîme partout. Les anciens penseurs étaient mieux disposés, par gymnastique, à accepter toute leur nature ; et la force de Montaigne vient sans doute de ce qu’il est ancien en cela. Le chrétien, au contraire, renie son corps ; il voudrait sauver son âme seule ; ainsi il tient son corps étroitement vêtu, pour délivrer l’âme. Or la sagesse antique ne séparait point la pensée de la vie. Et leur doctrine la plus constante visait à gouverner le corps afin de régler les passions, à quoi l’art de Phidias n’allait pas moins droit que la sagesse de Platon. Il est donc profondément vrai que le nu est païen. Mais non point par une indulgence au plaisir. Au contraire le nu antique est toujours attentif à la pensée directrice seulement, serviteur seulement. On ne peut même pas dire qu’il soit le serviteur d’une tête pensante. Ce serait en quelque sorte mettre une tête habillée sur un corps nu ; erreur assez commune, et