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Page:Alain - Système des Beaux-Arts.djvu/269

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DU NU

bien choquante dès qu’on la comprend par les causes. Il faut dire plutôt que cette sincérité entière sans honte aucune, délivre tout à fait le front et les joues ; la tête n’exprime plus tout ; elle n’a plus le souci du corps caché et des passions cachées. La majesté habite tout le corps. Tel est l’équilibre du nu sculpté qu’il n’y a plus de centre, mais que chaque partie obéit à toutes. Ainsi ces beaux marbres expriment l’accord de la pensée et de la nature, et la plus belle vertu ; le moindre fragment en témoigne encore.

On dit communément que le nu est toujours chaste, pourvu qu’il soit beau ; mais il vaut mieux dire que le nu est beau pourvu qu’il soit chaste. Cela suppose qu’un sage gouvernement de soi y soit visible, et que même les mouvements du visage soient étrangers aux passions. Cette permission de se montrer sans mensonge n’est donnée sans doute à aucun homme vivant, ni à aucune femme ; mais l’art du sculpteur a permis ce triomphe ; le marbre a sauvé la forme humaine. Par la pensée seulement, comme Platon voulait. Car, par les yeux, le front, les mains, les madones peintes expriment l’admiration, la piété, l’espérance ; mais la statue sans bras de Milo exprime plutôt cette vie pensante assurée et reposée en soi, comme le fait voir surtout ce mouvement libre de la tête, signe peut-être unique du plein consentement à soi.