Aller au contenu

Page:Alain - Système des Beaux-Arts.djvu/300

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
298
SYSTÈME DES BEAUX-ARTS

ments nés de l’ordinaire du commerce humain, et que j’ai dû appeler politiques, en reprenant tous les sens de ce mot si riche.

Le propre du civilisé à chaque époque est d’accepter absolument un certain ordre de puissances et de devoirs qui font naître en chacun des opinions, des jugements, des espérances, une manière d’aimer et de vouloir, enfin toute une vie secrète qui fait pourtant harmonie avec d’autres. Un certain air les exprime mieux que les signes ; et quoique la politesse et la prudence ne donnent à l’échange que la plus vile monnaie, néanmoins tous ces sentiments, dans l’ordre humain de chaque jour, sans se comprendre pourtant se répondent. En bref, les contraintes de politesse font que les sentiments retiennent toujours leur première expression, et, en revanche, apprennent à deviner, à pressentir, à servir, à contrarier ce riche fonds de désir et de courage qui vaut toujours mieux que ce qu’on montre, ne serait-ce que par le bonheur qui est leur parure d’enfance. L’amour se nourrit de ces richesses supposées, et ne se trompe pas toujours autant que les signes sans politesse le donneraient à croire dans la suite. Car il est vrai pourtant, quoique cela soit trop méconnu, que la franchise, sans aucun cérémonial, n’exprime guère que l’humeur, ou la fatigue, enfin ce qui est le moins naturel ; d’où il résulte que les drames réels n’ont presque jamais de sens ; l’esprit s’use vainement à les déchiffrer. Chacun a pu voir de ces scènes de famille où la funeste improvisation cache si profondément les sentiments et les affections véritables. En tout art, drame ou roman, l’artiste doit tout refaire. Malheur encore plus au peintre qui veut fixer dans sa couleur ces récriminations et malédictions. Peindrait-on une quinte de toux ? Mais aussi comme l’oubli vient avec la santé ! Comme la nature reprend forme ! Aussi les couleurs de santé sont le vrai langage du peintre ; et toute expression par les couleurs enferme toujours un certain bonheur qui enveloppe même la ruse, la tristesse ou le souci. Dès que le sentiment ne