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Page:Alain - Système des Beaux-Arts.djvu/301

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DES SENTIMENTS

s’accorde plus avec la vie, le peintre n’y trouve plus rien à prendre.

La vie serait donc l’objet premier du peintre. Et l’on oserait même dire, avec d’autres mots, que c’est le bonheur qui anime toutes les célèbres peintures, ou bien la jeunesse des passions, même chez le tyran, l’avare ou le mélancolique. C’est pourquoi le peintre est toujours plus près du vrai, s’il sait peindre, que le moraliste ou le romancier, toujours conduit, ou presque toujours, à l’instable ou à l’impossible, parce qu’il ne peint point les passions avec les couleurs de la vie. Et les passions d’autrui sont souvent comme un mot pris au hasard dans un livre. « Être ou n’être pas » cela signifie, entre autres choses, que, si l’on choisit d’être, il faut prendre son parti de soi, et se résigner, enfin, à être plus heureux qu’on ne devrait et même qu’on ne voudrait. Tel est le sens profond de la parure, et de cet air des portraits, qui est encore une parure. Et la nature de l’homme s’y montre forte et persistante, jusqu’à défier le temps. Fermes images, Hamlet, contre les spectres du souvenir, qui ne disent qu’une chose.