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Page:Alain - Système des Beaux-Arts.djvu/304

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SYSTÈME DES BEAUX-ARTS

ces prodigieux signes, développe sans fin toute vie individuelle, et la grandit, sans permettre pourtant qu’elle s’use ou même s’essaie à la plus petite action.

Ces échanges seraient la fin du cérémonial et son triomphe, sans cette timidité de l’être humain qui se voit regardé et lance aussitôt quelque signe de détresse, quelque message menteur et détourneur, par le seul frémissement de l’inquiétude. Mais le portrait n’a point d’inquiétude. Aussi le court moment où deux natures, dans le silence des signes, se saisissent mutuellement, mais pour se cacher l’une à l’autre et se tromper aussitôt, soi et l’autre, par les signes de l’amour et de l’amitié, ce court moment n’est que le premier moment de la contemplation picturale. La première inquiétude, car tout être humain tremble devant le sentiment, la première pudeur enfin est aussitôt réduite par cette peinture ferme, où les illusions du dessin sont d’abord dominées, aussi qui ne change point par nos émotions, qui promet d’être la même, et fixe l’amour sans le borner. Il faut appeler symbole, d’après le sens premier de ce mot, un tel objet qui signifie lui-même et en lui-même un monde, et autant d’autres mondes que l’on voudra, différents de lui et semblables à lui ; et le symbole est aux sentiments ce que l’allégorie est aux pensées. Comprenez d’après cela comment l’art du portrait et l’art sacré peuvent se confondre, et finalement pourquoi il importe qu’un symbole ressemble de profonde ressemblance à un modèle qui a vécu, mais comment aussi le modèle peut nuire à l’œuvre dès qu’on les compare. Ce sont les paradoxes de la peinture, et, comme tous les paradoxes, signes de vérités bien cachées. Et peut-être n’est-il pas inutile de les expliquer autant qu’on le peut, pour soi et pour d’autres, car il n’est pas rare que des jugements précipités gâtent nos meilleures joies.