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Page:Alain - Système des Beaux-Arts.djvu/306

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SYSTÈME DES BEAUX-ARTS

tateurs apprennent en cela du moins à être peintres. Disons aussi qu’il y eut, en tous les temps de haute civilisation, une peinture voluptueuse, mais secrète. Il suffit de ces remarques pour inviter le lecteur à user de franchise avec soi et à ne point juger légèrement.

Il faut donc toujours que le nu soit abstrait ou d’un moment. C’est pourquoi dans le dessin il étonne moins. Et il a été expliqué comment la sculpture, sans scandale, représente le corps pensant en solitude. Mais la peinture se trouve portée si loin de cette sévère abstraction, elle s’applique si naturellement, et avec tant de force expressive, aux sentiments conquis sur l’animal par le costume et les usages de la société polie, qu’on peut se demander si le nu n’y est point toujours une sorte d’égarement ou de négation passionnée. La plus simple remarque que l’on puisse faire à ce sujet est que le portrait nu est chose rare et quasi impossible. Il est à prévoir que ce rejet du cérémonial et cette franchise entière va renvoyer et comme disperser les passions dans la nature animale, au fond mécanique, les séparant absolument de la pensée, qui, si elle est occupée d’elle-même, restera vide et un peu hagarde. La vraie peinture, par la puissance même de ses moyens propres, ne peut que grandir, en la fixant, cette espèce de folie. La peinture, comme tout art, est composée et conquise. Comme la sculpture se nie elle-même dans la statue peinte, ainsi la peinture se nie elle-même dans le portrait nu. Cette remarque, si vous la vérifiez par l’examen de deux ou trois célèbres exemples, confirmera assez nos définitions.

D’après nos principes donc, on peut parier que la commune peinture du nu, je ne dis pas sans talent, sera surtout fille bâtarde de sculpture, j’entends allégorique, les figures représentant des pensées extérieures et même étrangères à elles, et détachées aussi du sentiment individuel. La couleur sera alors ornementale plutôt qu’expressive, et le visage perdra tout à fait et de propos délibéré cette expression de