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Page:Alain - Système des Beaux-Arts.djvu/307

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DU NU

ressemblance, si riche par elle-même et sans le témoignage du modèle. Qui ne voit aussi que le lent travail du peintre à l’intérieur même de la couleur s'effacera devant le souci de la composition extérieure, la couleur étant déchue de sa vérité, et la forme elle-même tombant à l’arabesque flatteuse, car la couleur corrompt toujours le dessin. Ces vues sommaires expliquent assez, et peut-être plus qu’elles ne méritent, ces réunions de Dieux sur des nuages, et ces cortèges de Naïades et de Sirènes fardées, volant, flottant ou nageant, car, pour marcher, ces formes ne le peuvent point. Ainsi l’idée de la peinture se retrouve encore ici, pour le châtiment du peintre.

À ces deux espèces de peintures du nu, dont l’une est peinture encore, il faut sans doute en joindre une troisième, qui serait la peinture du nu dans la vraie et libre nature des choses. Le sens de cette peinture jeune, et qui sauverait le nu pictural, est sans doute dans l’assurée et pleine négation de la peinture habillée et cérémonieuse. Car remarquons que ce qui choque surtout dans le portrait nu, c’est le cérémonial présent et nié. Si l’objet principal de la peinture est pris de la nature agreste, non parée, immense, comme des cieux, des eaux et des bois, le nu s’y accordera mieux, étant alors partie des choses, enveloppé et comme vêtu de reflets et d’air transparent, et exprimant par là cette parenté de l’homme et de la terre, que la cérémonie cache si bien. Mais aussi la couleur exprime alors moins le corps humain lui-même et ses affections que toutes ces choses de nature dans lesquelles il baigne toujours, desquelles il vit, et dont il est fait. Cette grandeur, si on y atteint, efface les passions.