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Page:Alain - Système des Beaux-Arts.djvu/310

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SYSTÈME DES BEAUX-ARTS

jeu agréable des couleurs, et aussi par le sentiment vif d’une nature puissante et amie, ce qui se fait par ces chemins qui vont on ne sait où, par ces ombrages où l’on aimerait s’étendre, par ces sources où l’on boirait, par cet air que l’on croit toucher et goûter, par cet espace qui éveille les forces et prépare le corps à l’action, mais sans rien proposer au désir, qui reste ainsi diffus dans le corps sans en troubler l’équilibre. À quoi ne réussissent pas du tout, comme on comprend bien, les spectacles rares, qui d’abord étonnent, et qui conduisent à nommer les choses et à évaluer les grandeurs. Il faut au contraire quelque ensemble familier, comme une vaste perspective de montagnes, ou une grande vallée, ou bien une route dans la forêt, ou une futaie, ou encore une plage marine, mais sans ces rochers à l’aspect fantastique qui se détachent trop. C’est pourquoi aussi il n’est pas bon que le paysage soit trop reconnu ; il en résulte une activité de l’esprit qui s’exerce autour de l’œuvre, et, en l’interprétant, travaille à en faire une perception laborieuse accompagnée de discours, sans y réussir assez ; il faut enfin que le spectateur soit détourné de dire : « Quelle est cette espèce d’arbre ?  » et de chercher sa maison et celle de son voisin. Ici encore on peut dire que la confrontation du modèle et de l’œuvre n’est bonne que pour l’artiste. Et les procédés, quelquefois assez choquants, comme les touches de couleur crue, ou le pointillé, les harmonies de couleur cherchées et forcées, tout ce qui est manière enfin, dans cet art difficile et encore tâtonnant, a toujours pour objet de détourner l’esprit de la chose et de le ramener à l’œuvre. Mais aussi, dès que l’esprit ne se rebute point, il se forme, et apprend à voir sans préjugés, car ceux qui ne savent point voir cherchent des spectacles rares et bientôt s’y ennuient ; au lieu que celui qui a appris à voir finit par saisir la beauté partout. Les vraies beautés de la nature doivent beaucoup aux peintres.

On a nommé impressionnisme cet art conquérant et hardi ; ce mot assez barbare exprime du moins forte-