Aller au contenu

Page:Alain - Système des Beaux-Arts.djvu/319

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
317
DE LA LIGNE

tiste que le modèle. Par un tracé hardi, simplifié, continu, la forme est affirmée, et ce jugement plaît. Mais il y a bien autre chose à dire de la ligne ; c’est le signe humain et la plus forte expression du jugement peut-être.

La droite des géomètres est prompte comme l’éclair, et presque sans matière. De trois étoiles nous faisons aussitôt un triangle, sans aucun secours des choses. Penser le triangle ainsi, avec des points seulement, c’est un moyen de mieux comprendre ce rapport immédiat entre deux points, et indivisible, qu’on appelle une ligne droite. Or la ligne du dessin est plus matérielle et plus lente, mais, dans les dessins les plus parfaits, elle prend quelque chose de la légèreté des lignes pensées ; et il ne faut point dire que, si légère qu’elle soit, elle suffit ; ce n’est pas assez dire, car moins elle a de corps et mieux elle exprime. Rien n’est plus beau qu’un vrai dessin, tout nu, sans ombres ni hachures, un peu effacé. On a remarqué souvent que la reproduction mécanique d’un vrai dessin, par gravure ou photographie, le rend plus expressif en l’allégeant de matière. Et jamais un trait appuyé ne dessine bien ; le noir opaque et lourd, la trace en creux sur le papier, toutes les marques de chair, bien loin de souligner la forme au contraire l’effacent. Pour saisir ce caractère des meilleurs dessins, il faut bien faire attention que les dessins ombrés et les gravures sont des copies ou des imitations de la peinture. Le propre du dessin, par quoi il s’oppose aussi bien à la peinture qu’à la sculpture, c’est de se passer de matière. C’est pourquoi il y a une beauté du dessin, indépendante du modèle, et même de toute forme d’objet ; un dessin est beau comme une écriture est belle. On y lit au clair la possession de soi, et cette profonde politesse qui mesure les gestes, mais vivifiée par l’esprit qui décide. Cette force sans passion, et qui parle à l’esprit seulement, est la parure de l’artiste ; ses œuvres, sculptées ou peintes, peuvent l’emporter de bien loin sur ses dessins, mais c’est dans ses dessins qu’il se reprend. Il