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Page:Alain - Système des Beaux-Arts.djvu/320

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SYSTÈME DES BEAUX-ARTS

faut penser ici à Léonard, et aux esquisses parfaites qu’il faisait tout courant.

Il n’est point vrai que tout visage puisse plaire en peinture, ni toute pose en sculpture. Le sens de ces puissantes œuvres sort tout de l’objet ; c’est pourquoi il y faut quelque chose de reposé et de stable. Mais le dessin ne choisit pas ; tout lui est bon ; son choix est dans la ligne, non dans la chose. Un homme qui tourne la tête, le mouvement d’un bras ou d’une main, un pied posé sur le sol, un moment saisi et fixé, voilà les objets du dessin. On a dit assez de l’art japonais qu’il saisit un moment de la vie. Mais aussi les Japonais dessinent toujours ; et, même quand ils emploient la couleur, ils ne peignent point. Le dessin de nos maîtres est plus sévère, mieux défini ; il se sépare mieux des autres arts. On pourrait se risquer à dire qu’il en est de même de notre poésie, souvent moins plaisante au premier aspect que ces courts poèmes d’Extrême-Orient qui ressemblent à des dessins emblématiques. La prose aussi est un fruit rare, fruit de culture, et qui méprise les moyens exotiques. Le dessin est certainement propre à faire comprendre la beauté de la simple prose. Et ce n’est point une imperfection du dessin que de manquer de couleur ; au contraire sa perfection est dans une ligne refermée qui suffit. Rien ici ne parle aux sens à la façon des couleurs et des sons. La différence abstraite parle seule ; enfin c’est le jugement qui parle au jugement.