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Page:Alain - Système des Beaux-Arts.djvu/332

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SYSTÈME DES BEAUX-ARTS

Que le dessin soit inventé toujours, même quand le modèle est présent, c’est ce qui a été assez expliqué. Mais on peut appeler spécialement invention le dessin imaginé, qui ne ressemble à aucun modèle. Comme les bruits fournissent souvent une mélodie au musicien, mais perdue dans d’autres choses, ainsi les nuages et les lignes de hasard offrent au dessinateur des profils, des regards, des mouvements, mais imparfaits. Dans la nuit aussi, des taches d’ombre et de lumière sont perçues dans le champ visuel noir, par suite de l’ébranlement continué des parties sensibles de l’œil, plus ou moins fatiguées, et ces images sont en continuel changement ; mais aussi l’on y trouve toutes les formes et tous les mouvements. Les taches d’encre ou les lignes brouillées suggèrent des modèles plus solides, partant desquels un artiste développe souvent d’étonnantes fantaisies, l’esquisse étant le modèle de l’œuvre. Mais les scènes fantastiques, dont nos rêves aussi sont faits, sont bien trompeuses hors du travail de la main ; et de même les expressions inventées ne se soutiennent guère sans l’observation de l’objet et sans l’ardeur de l’égaler qui, après un long travail, dispose le corps selon l’inspiration véritable. Ainsi l’invention sort de l’imagination même. Et celui qui la poursuit des yeux seulement se perd dans les vains projets et dans les conversations.