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Page:Alain - Système des Beaux-Arts.djvu/337

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DE LA CARICATURE

une nature d’homme, tout ce qui est rapport extérieur trompe souvent l’apprenti et aussitôt le punit, par cette conséquence que plus la ressemblance ainsi obtenue étonne, moins elle donne à penser. Un genre de dépit se laisse voir dans ce dessin intempérant, si profondément lié, de toutes façons, à l’envie. Au reste, par les mêmes causes, l’anecdote dessinée ou peinte est toujours un peu caricature. La caricature serait donc la vengeance d’un mauvais peintre.

La vulgarité est dans ces expressions sans mesure et en quelque sorte mécaniques, comme cet air de dégoût ou de mépris, ou bien d’attention ou de contentement, qui déforment à la fin le visage, et que l’on porte comme des lunettes ou une longue barbe. Et ces ridicules sont les moyens préférés de la mauvaise comédie. Mais le vide de la caricature apparaît mieux, par le caractère abstrait du dessin. On ne peut s’empêcher de penser ici à cet art d’imiter, si commun, mais vide aussi de contenu. Il n’est pas d’acteur, d’orateur ou de chef qui ne soit imité assez bien ; ce genre de moquerie ne conduit à rien et n’éclaire rien. La grande comédie, comme on l’a expliqué, vise bien plus haut ; c’était bien l’esprit de Socrate qu’Aristophane mettait sur la scène.

Il ne faut donc point se hâter de rapprocher le dessin satirique de l’art comique. La vraie comédie n’use point des difformités pour faire rire. Pierrot n’est point difforme, et Polichinelle l’est assez pour que l’artifice soit visible. Les comiques du cirque, toujours fidèles aux bonnes traditions de l’ancienne comédie, sont lestes et bien bâtis, et finissent toujours par le montrer. Je crois même que leur accoutrement et les taches de couleur qui les rendent méconnaissables ont pour fin de cacher le visage humain, plutôt que de le déformer. De même nous voyons que, dans la haute comédie, il y a toujours quelque chose de leste et de sain, oui même dans Sganarelle et Harpagon. On ne supporterait pas de les voir réellement impotents. Les acteurs savent bien qu’il ne leur est