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Page:Alain - Système des Beaux-Arts.djvu/393

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NOTES

quand je me pose à moi-même cette question, je ne puis dire que je ne voie rien qui ressemble au Panthéon. Je forme, il me semble, l’image d’une colonne, d’un chapiteau, d’un pan de mur ; mais comme je ne puis nullement fixer ces images, comme au contraire le regard direct, si l’on peut dire, me remet aussitôt en présence des objets que j’ai devant les yeux, je ne puis rien dire de ces images, sinon qu’il me semble que je les ai un instant aperçues. Mais comme il ne manque pas autour de moi de reflets, d’ombres, de contours indéterminée que je perçois du coin de l’œil et sans en penser rien, il se peut bien que je prenne, du «ouvenir de ce chaos d’un moment, l’illusion d’avoir évoqué, le temps d’un éclair, les parties du monument absent qu’en moi-même je nomme. Là-dessus je demande seulement que l’on se défle de soimême, et que l’on ne décrive point par le discours au delà de ce qu’on a vu. Le second exemple concerne nos perceptions réelles, dans lesquelles l’imagination entre toujours. Je perçois un précipice par les yeux. Il est clair que ce que je perçois réellement est couleur et contours et que la vision de la profondeur est imaginaire. Et voici la question. Quand cette perception imaginaire va au tragique par le vertige, ce qui arrive souvent lorsqu’une pierre roule, ou qu’un oiseau s’envole du rocher dans la profondeur, est-ce que l’abîme est alors dans ce que je vois, ou bien n’est-il pas seulement dans les mouvements retenus de tout, mon corps qui en même temps se précipite et se relient ? Au vrai je sens l’abîme par la terreur ; et, parce que je le sens, je crois que je le vois. Cet exemple peut jeter dans des réflexions sans fin. Car, lorsque je vois l’horizon au loin, cette distance est imaginaire aussi ; je crois la voir, mais plutôt je la sens, en une préparation de mon corps à marcher longtemps. Afin de mieux apercevoir les pièges de l’imagination, amusez-vous, quand les feuilles auront poussé, à voir dans quelque branche qui se détachera sur le ciel un visage d’homme, et examinez si, par ce travail d’imagination, la forme de l’objet sera changée le moins du monde. Elle ne le sera pas, mais vous croirez d’abord qu’elle l’est. Le troisième exemple n’instruira que ceux qui, à la manière des peintres, savent mesurer des grandeurs apparentes. La lune à son lever nous paraît plus grosse qu’au zénith ; et sans aucun doute c’est l’imagination qui la grossit. Mais enfin, direz-vous, elle la grossit ; elle étend ce disque au delà des limites que l’optique déterminerait. L’imagination change donc les apparences ? Mais non ; elle ne change point les apparences. La lune n’apparaît pas plus grosse qu’elle ne devrait ; et les astronomes, qui mesurent souvent une telle image, je dis quant à sa grandeur apparente, vous diront que cette grosse lune à l’horizon ne couvre pas plus de divisions sur leur réticule, que la lune au zénith par les nuits claires. Ici encore nous croyons ferme, et je dirais même de tout notre cœur, que l’imagination fait apparaître une lune plus grosse ; mais cela n’est point. La lune ne