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Page:Alain - Système des Beaux-Arts.djvu/60

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SYSTÈME DES BEAUX-ARTS

une fière idée de la puissance du corps et de la puissance du vouloir en même temps. Mais deuxièmement ces sourires et ces gestes mesurés et arrondis sont par eux-mêmes une bonne préparation des muscles, comme sont les saluts compliqués de l’escrimeur avant l’assaut. Ainsi l’acrobate, en se montrant tel qu’il veut paraître, devient ce qu’il veut paraître, et ce rapport, qui définit toutes les vertus, se montre assez dans ces mouvements de ballerine, qui n’ont tout leur sens qu’ici.

Si l’on veut bien considérer que l’acrobate a son imagination pour ennemie, en ce sens précis que tout mouvement passionné le précipite, on trouvera à mieux comprendre, d’après cet art soumis aux conditions les plus impérieuses, comment la beauté, selon une formule célèbre, résulte de l’accord de l’imagination et de l’entendement en leur libre jeu. Ici, par bonne fortune, imagination est strictement jeu des muscles, des poumons, du cœur, comme entendement est mesure des distances et représentation d’effets prochains ; enfin l’erreur est sévèrement punie. Le fond de l’art acrobatique est sans doute qu’une faute ne s’y répare point ; forte leçon pour le plus jeune des arts, qui rature trop. Il faut que l’idée et la nature s’accordent ; et la forme humaine en témoigne par une grâce libre, en des exercices qui feraient trembler.

C’est pourquoi il y a plus de sérieux dans les jeux de cirque dans les autres genres de théâtre, où le danger n’est jamais véritable. Mais il arrive souvent que le geste de théâtre, qui n’a point ce sens plein et direct, et tourne au langage et à la déclamation, trompe sur les vrais dehors de la vertu. Si un héros souriait à propos, et se parait de grâces, au lieu de se raidir sans nécessité, les acteurs approcheraient du sublime. Aussi n’ont-ils pas peu à apprendre aux spectacles du cirque, et nous de même. Peut-être y a-t-il deux méthodes de dessiner et deux beautés rivales ; car les uns travaillent d’après des modèles formés selon le théâtre ; aussi surprend-on alors le