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Page:Alain - Système des Beaux-Arts.djvu/66

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SYSTÈME DES BEAUX-ARTS

une sorte de serment aussi ; ce sont les trésors du temple. Mais un autre genre de foi, qu’il vaut mieux appeler croyance, vient plutôt par les effets. Il est commun et aisément explicable qu’une âme pleine de colère, d’amertume ou de désespoir se trouve déliée par la vertu des cérémonies et des politesses ; car tout mouvement vif ferait scandale dans ce jeu sacré. Ainsi le tragédien est pris par son rôle et conduit à éprouver la clémence, le pardon, le renoncement ; la consolation va du dehors au dedans, et l’apaisement d’abord, par cette attention de tous, par ce concert, par ces mouvements pleins de précaution. De là l’idée d’un dieu extérieur, sensible au toucher. L’expérience religieuse est assez riche, mais il faut la lire d’après une idée directrice ; je vous propose celle-là.

La religion ainsi considérée, est donc un art véritable, et bien mieux l’art par excellence, si l’on regarde bien : car les autres arts ne visent pas aussi droit, mais tous vont à nous délivrer des passions, comme Aristote l’a fait entendre de la tragédie, sans qu’il se soit trouvé assez de commentateurs pour tirer tout à fait l’idée hors de l’image. Tout art viserait donc à disposer le corps humain selon la sagesse, entendez selon la raison ou selon la paix ; mais non pas tous directement ; car les uns disposent le corps d’après des objets composés qui agissent sur les sens, comme musique, peinture, ornements, édifices ; les autres, dont nous traitons maintenant, règlent directement les mouvements du corps, en vue d’un plaisir déterminé ; mais déjà il serait bien difficile d’expliquer les rites de la danse frivole, et le plaisir qui en résulte, sans découvrir le secret du maître à danser, que lui-même ignore. Le secret du prêtre n’est que dans les moyens, car il vise le salut des âmes, et il l’annonce. Ainsi le plaisir n’est plus la fin. Et pourtant qui oserait dire que la danse religieuse n’est pas celle qui plaît le plus ? Mais il faut s’y mettre. Et il n’y a rien de plus niais, au dehors et au dedans, que celui qui regarde danser.