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SYSTÈME DES BEAUX-ARTS

tirer l’attention, soit qu’ils craignent le ridicule. De là une honte ou une impudence en eux, et autour d’eux une honte, qui vont au laid.

Une autre condition de la mode, et mieux déterminante, est qu’elle vise toujours à diminuer aux yeux les disgrâces de la nature ou les offenses de l’âge. Et, comme il n’est point poli d’avouer que l’on remarque l’âge ou les disgrâces, il n’est point poli non plus de les trop montrer. Mais ce serait encore trop les montrer que les cacher trop. L’art de s’habiller facilite les passages, ou bien couvre les faiblesses d’un moment ; on comprend d’après cela les finesses de la parure, et les fautes de goût aussi. Une jeune fille qui met de la poudre avec mesure est polie à l’égard d’une sœur aînée, et sa jeune sœur lui rendra la politesse. Au temps où les hommes se paraient, la perruque était une politesse de tous à l’égard de ceux qui ne pouvaient se passer de perruque.

Il faut dire aussi que la mode efface un peu les différences et nous préserve de jeter au visage des autres quelque caractère trop marqué. Le peintre pourra s’y risquer peut-être ; le langage du portrait permet beaucoup ; mais le portrait vivant exige plus de décence. Un caractère se découvre à qui le cherche, mais ne veut point s’offrir à un homme occupé d’autre chose et qui ne regarde que du coin de l’œil. D’où l’on a tiré qu’il y a quelque chose d’ordinaire dans un beau visage ; la beauté de l’espèce est alors comme un chemin qui conduit à reconnaître la beauté individuelle, en conformité avec cette loi de toutes nos connaissances, que le tracé simple et commun peut seul porter les différences et en faire des pensées. Comme un bon chanteur arrive à émouvoir sans détonner, de même un beau visage garde toujours la forme humaine. Ainsi se trouve expliqué un paradoxe assez piquant, c’est que les figures très expressives n’expriment rien. Mais cette idée est trop métaphysique peut-être ; ne la séparez point de l’observation.

Ce qu’il y a d’esthétique dans la mode, c’est une