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Page:Alain - Système des Beaux-Arts.djvu/95

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DE LA POÉSIE ET DE L’ACOUSTIQUE

organes parleurs se raccorde au précédent et au suivant ; on oserait dire que la prononciation des beaux vers est une sorte de danse encore, sans heurt, sans contracture. Et cela est plus sensible dans les passages où la voix doit prendre toute son ampleur, afin de réveiller l’attention et de porter loin. Heureux le poète qui accorde ses élans avec une espèce de marche naturelle des sons qui d’elle-même délie la bouche et la poitrine ; alors la force physique soutient et porte l’autre. Il n’y a point de beaux vers sans cette concordance. L’éloquence en approche quelquefois, mais sans arriver jamais à la sécurité du vol poétique. Il est même visible que les beaux vers invitent le récitant à la mimique convenable, certainement par suite de l’étroite liaison de tous les mouvements du corps. Il est clair aussi que le rythme, moins docile aux passions que n’est la parole libre, modère ces mouvements et les ramène au convenable. Il n’y a point d’énergumène que la loi ne calme un peu ; mais le vrai génie poétique adoucit encore le monstre par l’heureux choix des sonorités. En voilà assez sur l’action.

Le récitant s’écoute aussi lui-même. Il faut dire maintenant comment la poésie purifie la voix, si naturellement docile aux passions, comment elle l’anoblit et l’humanise. La voix humaine est vulgaire de deux façons ; d’abord parce que la précipitation nous conduit à abréger, ce qui se marque, en français par exemple, par un accent qui éteint tout le reste, et ne laisse comprendre que les signes les plus usités ; observez que le langage courant aime les locutions toutes faites, et les lance par cris, contractions et élisions. Le langage est encore vulgaire en ce sens qu’il se déforme selon les lieux, les accents, les élisions et l’intonation n’étant pas les mêmes partout, et se fixant naturellement dans chaque région par le commerce de tous les jours. Quand le langage est descendu là, l’homme qui s’écoute parler n’entend rien de beau, quoiqu’il s’y plaise ; ce n’est toujours que lui petit, plutôt animal qu’homme. Et il est clair