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Page:Alexis - La Fin de Lucie Pellegrin, etc, 1880.djvu/115

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L’INFORTUNE DE MONSIEUR FRAQUE

lit trop large pour elle, la petite rivière contournait des rochers roses, puis s’éparpillait sur de grandes étendues de sable qu’elle ne recouvrait que d’un filet aux larges mailles d’argent.

Il ne passait personne. L’été, tout le peuple de Noirfond vient se baigner dans la rivière. Ce sont des cris, des chants, de grands éclats de rire à fleur d’eau. Sur chaque rocher, des groupes d’enfants nus, d’hommes en caleçon, de femmes en peignoir, se sèchent au soleil. Mais on ne retrouve, l’hiver, que les blanchisseuses accroupies dans leurs boîtes en planches. On n’entendait plus que les coups de leur battoir. De loin en loin, quelque pêcheur à la ligne, immobile éternellement, semblait faire partie de la rive où il était assis. Jenny avançait de plus en plus lentement. M. Fraque avait lâché les rênes ; et, son front alourdi par de sombres pensées, il avait fini par le laisser choir en avant, tellement que son menton reposait maintenant sur le plastron blanc de la chemise. Le soleil baignait son visage, découpant son profil étrange, ruisselant sur ses grands cheveux couleur de neige. Sa longue cravache, passée sous le bras, semblait quelque pique inclinant la pointe vers le sol. On l’eût pris pour un Don Quichotte accablé, endormi sur Rossinante.

Le vallon devint encaissé, plus solitaire encore. De temps en temps, des bouquets de grands arbres se détachaient sur l’azur, — se reflétaient dans la rivière. On n’entendait plus de battoirs de blanchis-