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Page:Alexis - La Fin de Lucie Pellegrin, etc, 1880.djvu/231

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LES FEMMES DU PÈRE LEFÈVRE.

l’Hôtel de Paris, retenue pour elle par le banquier de la première chanteuse. Il y en avait d’ailleurs de moins favorisées par le sort, ou de trop exigeantes, qui ne réussissaient pas vite à se trouver un placement avantageux. Trois surtout, pas des plus belles, la bossue et deux vieilles loucheuses, que le duc « de la Roche-faux-cols » inquiet avait déjà vu passer et repasser devant son magasin, stationner un peu chaque fois, regarder mélancoliquement la devanture. Fantastiquement accoutrées, jaunes de ne pas avoir dormi et noires de poussière, col et manchettes désempesés par la sueur du bal, elles s’oubliaient là un moment devant la lingerie fine du chemisier, devant les fraîches cravates bleu-de-ciel et rose tendre. « — Camélia, regarde donc ces bottines en chevreau glacé avec piqûres blanches ! » Puis elles repartaient, traînant leurs savates éculées. Et, ne sachant trop où aller, complètement dépaysées, elles ne se quittaient plus, comme soudées l’une à l’autre par le délaissement et le malheur. On les vit longtemps muser ensemble sur le Mail tout le long des allées du Nord et du Midi, faisant des stations sur les bancs, lisant des affiches, trempant le coin de leur mouchoir dans la fontaine du Bon-Grand-Homme, pour se passer de l’eau sur les yeux. Devant les messageries, elles causèrent avec le conducteur d’une diligence, homme aimable, qui, malheureusement, partait dans trois minutes. Une rangée de décrotteurs debout devant leur boîte, en train de déjeuner, les plaisanta. Même, de jeunes