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Page:Alexis - La Fin de Lucie Pellegrin, etc, 1880.djvu/262

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JOURNAL DE MONSIEUR MURE.

journée d’été admirable. Rangée en rond au milieu du Cours, à la hauteur du café des officiers, la musique du régiment joue la Dame Blanche. Du balcon de la maison où je suis né, mon ami, nous regardons. À nos pieds, voici les deux allées de la promenade, bordées de chaises qu’occupent des dames en grande toilette, des enfants, des messieurs. D’autres familles, également en toilette, sont assises sur la chaussée du milieu. Mais, en étudiant bien toutes ces chaises, nous découvrirons des catégories distinctes, des différences brusques, profondes ; nous arriverions à tracer une carte, oui, une vraie et curieuse carte de géographie sociale, aux lignes de démarcation certaines. Par exemple, cette femme d’huissier si longue, si osseuse, si mal fagotée, au nez proéminent et montagneux, ne se doute pas que nous la prendrions pour une frontière naturelle… Et un peu plus bas, — oui, là, précisément ! — ce clan de jeunes femmes et de jeunes filles, les unes affreuses, les autres charmantes, mais ayant toutes un air de famille, ce sont les israélites : la noblesse et la magistrature ne les salue pas, et les appelle « les juives ! » En dehors des grands bals de la sous-préfecture, — un terrain neutre et banal comme la chaussée du milieu, — elles ne vont qu’aux sauteries intimes de la femme d’un marchand d’huile. »

Ce chiffon de papier jauni me reporte à bien des années en arrière. Je sortais du collège, alors. Mes