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JOURNAL DE MONSIEUR MURE.

trois mois. Pas vieille, mais plus toute jeune. Et ce doit être une grande mélancolie pour la femme que de se dire : « la jeunesse s’en va. » D’ailleurs, la beauté n’est pas faite que d’adolescence et de fraîcheur. Et, si peu que je l’aie aperçue l’autre soir, elle m’a surpris par une beauté nouvelle, d’une expression touchante et meurtrie. Ses yeux battus, mais agrandis et plus profonds, brûlaient dans la nuit de je ne sais quelle flamme mystérieuse, inquiétante… Mais pourquoi vient-elle de prendre une chaise et de s’asseoir ?

Huit heures et demie.

Que se passe-t-il ? Depuis un grand quart d’heure qu’elle est assise, je n’ai rien entendu. Que fait-elle ? À quoi pense-t-elle ? Qu’attend-elle ? Hier, à pareille heure, elle était déjà sortie… Maintenant, c’est peut-être moi qui suis trop impatient. Mon cœur bat. Je suis aussi troublé que si j’allais commettre une vilaine action. Ai-je bien le droit de la suivre, de l’espionner ainsi, de surprendre son secret ? C’est pour elle, dans son unique intérêt. Mais n’est-ce pas aussi pour moi ? Tant pis ! pour moi ou pour elle, avec le droit ou non, j’ai la fièvre : qu’elle se hâte ! D’ailleurs, elle n’a peut-être aucun secret.

Neuf heures.

Elle s’est promenée quelque temps dans sa chambre de long en large, comme quelqu’un qui réfléchit et