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JOURNAL DE MONSIEUR MURE.

les poids, le vieux tapis, l’assiette ébréchée ! Là, chez le dépositaire habituel de leur attirail, ils devaient en avoir pour longtemps tous les deux, à se reposer et à boire ! Soudain, au milieu de ce bouillonnement de tout mon être, quelqu’un sortit de la boutique du marchand de vin, traversa la chaussée, passa près de moi. C’était Fernand ! Fernand en pardessus noir à taille et en petit chapeau rond, le « melon » des calicots et des petits employés, crânement posé en arrière ; le tout très propre. Plus rien d’un bateleur, que les deux bottines rouges montant très haut, et, par moments, un petit morceau de maillot rosâtre, visible sous le long pardessus. Il fumait un cigare. Il passa très vite, une canne à la main, faisant des moulinets. Il eut bientôt rejoint Hélène, qui ne se tourna pas vers lui, qui ne fit aucun geste ; seulement, elle doubla le pas. Lui n’avait pas même porté la main à son chapeau, et fumait toujours. Je les vis s’éloigner ainsi, parallèlement, à un mètre l’un de l’autre, et je me demandais s’ils s’étaient adressé la parole. J’aurais voulu douter encore. Je les suivais de loin, espérant qu’ils prendraient chacun une direction différente. Non ! ils marchaient maintenant côte à côte ! Fernand lui parlait avec animation, tournant la tête vers elle, la serrant de plus près. Et elle, tendant toujours à s’éloigner, obliquait à droite. Ils finirent par traverser la chaussée, remontèrent sur le trottoir qui longe les maisons ; là, Hélène, ne pouvant obliquer davantage, rasait les devantures fermées, tandis que Fer-