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Page:Alexis - La Fin de Lucie Pellegrin, etc, 1880.djvu/67

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L’INFORTUNE DE MONSIEUR FRAQUE

où le premier président donnait à dîner aux magistrats de son ressort, les meubles des immenses salons restaient recouverts de leur housse de lustrine grise. Les rideaux de damas épais interceptaient le jour. Et, sous les grands marronniers du jardin, l’herbe envahissait les allées du parterre négligé ; les charmilles étaient devenues des fourrés impénétrables ; la mousse et les feuilles mortes obstruaient le grand bassin ; et les statues elles-mêmes, debout de distance en distance, poussiéreuses et noires comme des statues qui se négligent, semblaient bâiller d’ennui. Connaissant peu d’enfants de son âge, toujours seul avec les domestiques, Hector, dans ce milieu peu récréatif, était devenu sombre et brusque, entier, taquin, querelleur, n’aimant que les chevaux et les armes, se chamaillant jusque avec ses chiens. Au collège, où son père ne l’avait envoyé que tard, le jeune Fraque s’était acquis un renom de mauvaise tête : insolent avec les professeurs, se jetant sur les pions, se colletant avec les élèves. Petit de taille, plus rageur que fort, il était d’ailleurs le plus souvent battu, et revenait avec quelque bosse au front, des coups d’ongle sur la joue. Des égratignures faisaient saigner ses petites mains délicates. Au fond, sous ses allures batailleuses, Hector était le meilleur garçon du monde. M. Fraque père, qui avait deviné le mouton caché sous cette peau de loup, avait le plus grand mépris pour ce fils, en qui il sentait revivre toute sa défunte femme.