Page:Alfred Vacant - Dictionnaire de théologie catholique, 1908, Tome 10.2.djvu/215

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
1723
1724
MIGNE, VIE

l’heureuse influence que pouvait exercer la presse, il voulut fonder un journal et demanda, pour se rendre à Paris, son exeat à Mgr de Beauregard. Il l’obtint, le 9 novembre 1833, rédigé en termes très flatteurs. Il partit donc à Paris, emmenant avec lui M. Dufour de La Tuilerie, receveur de l’enregistrement, et M. Toupenay, instituteur de sa commune, qu’il avait intéressés à son projet.

Mais le journalisme ne devait pas le retenir longtemps, au moins de façon exclusive. Dès 1836, il abandonnait L’Univers pour entreprendre une œuvre d’une autre envergure que, dans le langage hyperbolique qui lui sera familier, il comparera au percement du mont Cenis, à la construction de dix cathédrales et qu’il appellera l’entreprise la plus colossale du siècle. Cette œuvre, qu’il intitulait Bibliothèque universelle du clergé, devait comprendre 2 000 volumes in-4o. N’était-ce pas une entreprise chimérique ? Il arrivait à Paris sans argent ni protecteurs ; il avait une instruction ordinaire. Mais par contre, « il était actif, entreprenant, très entendu en affaires, fécond en ressources, ne haïssant pas au besoin la réclame, mais la mettant au service des bonnes causes ; l’imagination toujours en travail d’œuvres gigantesques, possédant à un haut degré l’art de découvrir les talents ignorés, d’en tirer habilement parti et de les faire concourir à son but ; doué de cette patience qu’aucune résistance ne lasse, d’une force de volonté qui faisait tout plier devant elle, créant œuvres sur œuvres, et arrivant à mener à bonne fin, sans autres capitaux que sa confiance en lui-même et son énergie, une des entreprises les plus considérables de notre siècle, l’édition d’une encyclopédie théologique qui comprendra plusieurs milliers de volumes. » Dom F. Cabrol, Histoire du cardinal Pitra, Paris, 1893, p. 108.

De fait, il travailla à ses publications, sans aucune interruption, jusqu’à l’incendie de ses Ateliers catholiques, en février 1868. Il rencontra au début de graves difficultés. S’il fut encouragé de toutes parts, s’il reçut dix mille lettres de conseils et de félicitations, il n’en devait pas moins se heurter à l’opposition de l’archevêque de Paris. Mgr de Quélen, tout en reconnaissant l’excellence des publications entreprises par l’abbé Migne, estimait que son œuvre, ayant un caractère commercial, ne pouvait être dirigée par un clerc. Il ordonna donc à l’éditeur de suspendre ses travaux. Migne crut voir, dans cette mesure qui le frappait, le résultat de l’intervention de libraires poussés par la jalousie ; de grands intérêts étaient engagés dans l’entreprise ; enfin l’abbé Migne pouvait arguer qu’il n’était ni imprimeur ni libraire, les deux brevets appartenant à Victor Migne, son frère et son collaborateur. Il refusa de se soumettre. L’archevêque lui retira ses pouvoirs et lui interdit de dire la messe. Quelques mois avant de mourir, Mgr de Quélen avait proposé à l’abbé Migne de convertir cette spéculation particulière en une œuvre diocésaine, dont l’archevêque serait le supérieur et lui le directeur. Voulant garder toute sa liberté, Migne rejeta cette proposition. Mgr Affre suivit d’abord la même ligne de conduite que son prédécesseur. Il se vit même dans l’obligation de condamner, à deux reprises, la Voix de la Vérité, nouveau journal publié par Migne. Mais, touché par les franches explications de l’éditeur et par le tort que pouvait faire à ses publications la suspicion de l’autorité ecclésiastique, il leva enfin, le 10 novembre 1817, la défense qui le frappait : Migne n’était plus obligé pour dire sa messe de se rendre à Versailles, où Mgr Gros l’avait paternellement accueilli. Le 2 juin 1849, il prenait à son nom le brevet d’imprimeur-typographe, au Petit-Montrouge. Mgr Sibour l’encouragera, en lui donnant une subvention de 5 000 francs pour l’achat de livres et en lui confiant l’édition des Actes de l’Église de Paris.

L’empressement du public catholique ne répondit pas toujours aux efforts de l’éditeur. Rendant compte du t. cv de la Patrologie latine, A. Bonnetty, directeur des Annales de philosophie chrétienne, écrivait en 1853 : « Cette œuvre devrait être protégée plus qu’elle ne l’est par les gouvernements, par les évêques et par tous les catholiques. » Ann. de philos, chrét., t. xlvii, p. 162. Une remarque semblable est faite quatre ans plus tard par le même écrivain, à propos de la Patrologie grecque : « Nous avons le regret de dire qu’il s’en faut de beaucoup que la plupart de ces maisons (bibliothèques des évêchés, des grands et petits séminaires, principales cures, communautés religieuses…) aient souscrit à cette belle et bonne publication. L’éditeur est encore fort au-dessous de ses avances et, s’il n’avait pas consacré à cette œuvre tout son crédit et tous les bénéfices de ses précédentes publications, il aurait été obligé d’en interrompre l’impression. » Op. cit., t. lv, p. 250.

Cependant, les marques de sympathie ne manquèrent pas, dès le début, à l’œuvre de Migne. De Rome, de l’univers catholique, affluèrent les encouragements de cardinaux, d’évêques, de prêtres et de laïques instruits. En France, les Annales de philosophie chrétienne par la plume de leur directeur, l’abbé A. Bonnetty, lui firent une puissante réclame, reproduisant ses prospectus, analysant ses publications, répondant aux contradictions soulevées contre certains ouvrages par la Bibliographie catholique. En 1856, le concile provincial de Périgueux, tit. i, c. 9, recommandait au clergé les Patrologies latine et grecque, ainsi que les autres ouvrages sortis des presses des Ateliers catholiques. Ann. de philos, chrét., t. lvii, p. 163-164. Un autre éloge public fut décerné à Migne au Sénat : dans la séance du 20 juin 1862, par le baron Ch. Dupin, « Un simple curé de campagne, M. Migne, a entrepris, à lui seul et avec le concours financier du clergé inférieur, de publier, à bas prix, sans luxe, une collection savante et complète, collection où les textes les plus fidèles sont mis en présence des versions les plus autorisées, une collection où figurent les Livres saints, les Pères de l’Église latine et grecque, tous les grands théologiens, tous les orateurs sacrés, tous les commentaires, et aussi les meilleurs écrits des évêques de nos jours. Telle sera la Bibliothèque universelle de l’Église catholique. 850 volumes ont déjà paru qui ont coûté dix-sept millions ; 1150 volumes restent encore à paraître, qui coûteront vingt-trois millions, et, pour mener à bout cette entreprise, on n’a rien demandé au gouvernement, rien que la paix publique et la sécurité du travail… C’est avec ses modestes ressources que le clergé français a inauguré cette grande entreprise catholique. Puis des laïques généreux leur sont venus en aide… » Ann. de philos, chrét., t. lxv, p. 243-244.

Les reproches faits par Bonnetty à l’indifférence du clergé français paraissent donc un peu exagérés. Ce dernier a soutenu l’éditeur par de nombreuses souscriptions. Il sortait en moyenne, chaque année, quarante volumes in-4o de l’imprimerie du Petit-Montrouge ; dans un prospectus de 1864, Migne notait que quatre cents volumes étaient en réimpression ; que cent volumes nouveaux avaient été composés dans les deux années précédentes et qu’ils seraient mis sous presse, dès que la réimpression en cours serait terminée : « La rapidité de leur tirage, ajoutait-il. étonnera autant qu’elle réjouira les soixante-dix mille clients des Ateliers catholiques. » Ann, de philos. chrét., t. lxix. p. 77. Malgré la modicité des prix, on ne pouvait pas demander un effort plus grand au clergé français.