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Page:Alfred Vacant - Dictionnaire de théologie catholique, 1908, Tome 10.2.djvu/216

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MIGNE, LE PUBLICISTE

Si l’œuvre monumentale entreprise est demeurée inachevée, l’incendie du 12 février 1868 en est seul responsable. Le feu prit dans le bâtiment des presses typographiques et, en un instant, gagna tous les ateliers et presque tous les magasins. Les dégâts furent considérables, irréparables pour la plupart. Les clichés des grandes collections, au nombre de 667 855, furent détruits et l’on ne retira des décombres qu’une masse de près de six cents tonnes de plomb. La fabrique d’ameublement d’églises, d’orgues, de statues, de tableaux, de bas-reliefs, que Migne avait ajoutée à son imprimerie, fut également atteinte par l’incendie : un grand orgue de trente mille francs, prêt à être livré, fut entièrement fondu. Sur douze millions que représentaient le matériel et les marchandises, d’après le dernier inventaire, on sauva à peine six millions. Cf. Journal général de l’imprimerie et de la librairie, 15 février 1868, p. 25. La perte était énorme ; les assurances n’offrirent qu’une somme dérisoire : le 29 janvier, elles versaient à l’éditeur 1 348 327 francs, refusant de faire davantage. Il s’en suivit un long et pénible procès qui ne se termina que le 20 décembre 1871. Migne obtint une somme de 3 044 152 francs. C’était à peine la moitié des dégâts occasionnés par l’incendie. Cf. Le droit, 22 décembre 1871 ; Gazette des tribunaux, 22 décembre 1871.

L’indemnité reçue de l’assurance fut insuffisante pour permettre à Migne de reprendre les publications interrompues. Il voulut, malgré tout, lutter contre le sort. Ruiné, il chercha à se procurer de nouvelles ressources, par des expédients qui n’étaient pas irréprochables aux yeux de l’autorité ecclésiastique. Il reprit son commerce de mobilier sacré, et organisa un trafic d’intentions de messes. Pour prix des marchandises ou des volumes livrés, il percevait des honoraires de messes. L’archevêché s’émut de ces pratiques. Il donna à Migne l’ordre formel de les cesser. Celui-ci résista et encourut une suspense. Peu après, par un décret du 25 juillet 1874, Rome déclarait illicite tout arrangement du genre de ceux qu’il avait imaginés. Cf. Acta S. Sedis, t. viii, p. 107-109 ; Many, Prælect. de missa, Paris, 1903, p. 193.

Ces épreuves, s’ajoutant aux fatigues et aux soucis que lui avait imposés la direction de sa vaste entreprise, eurent raison des forces de l’abbé Migne : sa vue avait considérablement diminué, il était devenu presque aveugle. Le 24 octobre 1875, il mourait à Paris, laissant le souvenir d’ « un des polygraphes et des compilateurs les plus extraordinaires que mentionne l’histoire de l’érudition. » C. V. Langlois, Manuel de bibliographie historique, Paris, 1904, p. 399.

II. L’œuvre de Migne. — 1o Le publiciste. — Arrivé à Paris en 1833, Migne se préoccupa immédiatement de l’organisation du journal qu’il voulait fonder. Il lança deux prospectus, celui de l’Univers religieux et celui du Spectateur. Le premier était le plus complet : il manifeste déjà le goût de réclame tapageuse qui caractérisera plus tard les annonces des volumes de la Bibliothèque universelle : « Nous présenterons, disait-il, les notions les plus catholiques sur les questions les plus intéressantes par leur actualité, danses, bals, théâtres, romans, prêt à intérêt, impôts divers, divorce, salaire du clergé, des prêtres… le tout avec la plus extrême réserve. » Eug. Veuillot, Louis Veuillot, Paris, 1913, t. i, p. 358. Il se proposait de choisir ses collaborateurs au sein « des deux opinions religieuses qui se partagent la France catholique ». C’était dire qu’il rompait avec l’ancien gallicanisme et qu’il ouvrirait largement la porte aux défenseurs des droits de Rome et de l’Église. Il ne devait servir aucun parti, ni politique ni religieux. Il était catholique, voilà tout.

Le succès répondit à l’attente du fondateur, La Tribune catholique, qui avait été fondée, en 1833, par M. Bailly pour défendre les idées de l’Avenir, dans ce qu’elles avaient de légitime, fusionna avec l’Univers. En trois semaines, celui-ci avait obtenu plus de dix-huit cents abonnés. Quant au Spectateur, il n’exista jamais que de nom. Ses souscripteurs reçurent l’Univers.

Le premier numéro du journal parut le 3 novembre 1833. Il avait pour titre : L’Univers religieux, politique, scientifique et littéraire, et pour devise : Unité dans les choses certaines, liberté dans les douteuses, charité, vérité, impartialité dans toutes. Le directeur-fondateur avait obtenu la promesse de collaboration

« des hommes les plus marquants de la capitale » :

MM. Bailly, propriétaire et principal rédacteur de la Tribune catholique, Cayol, Choron, Clarion, Fontaine, Gauthier de Claubry, Gerbert, qui rédigea les premiers articles, sous la signature de Migne, Guilbert, Hennequin, Lauras, Charles Nodier, d’Ortignes, de Paravey, Pardessus, Récamier, Rendu. En fait, très peu de ces

« hommes marquants » donnèrent une collaboration

assidue à l’Univers. Par contre l’abbé Migne sut attirer à son œuvre un nombre considérable de jeunes gens zélés qui devaient exercer plus tard une influence considérable, tels que les frères Foisset, Ozanam, Lallier, Lamarche, Du Lac, Lacarrière, Léon et Eugène Boré, Desdouits, H. de Benald, H. de Viel-Castel, Turquéty, de Montrond, etc.

Le succès du début ne se confirma point. Voulant se concilier tous les partis, l’Univers religieux se les aliéna tous. Il fut en butte aux attaques de l’Ami de la Religion, organe presque officiel du monde catholique. Migne abandonna le journal où, absorbé par les travaux de la direction et de l’administration, il avait peu écrit. Ses articles sont signés L. M., ce qui les fit parfois attribuer à La Mennais. En 1836, il céda son journal à M. Bailly qui le conserva jusqu’au jour où L. Veuillot en prit la direction. Cf. Eug. Veuillot, Louis Veuillot, t. i, p. 357-364.

Cet abandon du journalisme n’était pas définitif. En 1846, Migne fondait la Voix de la Vérité, aidé par l’abbé Clavel et avec la collaboration d’un jurisconsulte éminent, l’abbé Romain Prompsault, qui devait composer, pour l’Encyclopédie catholique, un Dictionnaire raisonné de droit et de jurisprudence, en matière civile et ecclésiastique. Le but du journal était de donner aux membres du clergé et aux communautés religieuses des consultations juridiques. Mais il ne s’occupa pas exclusivement des conflits avec l’autorité civile ; il prit en mains la défense des prêtres en désaccord avec leur évêque. Cette attitude déplut à l’autorité : Mgr Affre censura et interdit le journal par deux mandements, en date du 20 août et du 29 octobre 1847 ; la mesure fut levée le 7 novembre. En 1854, Mgr Sibour frappa de nouveau la Voix de la Vérité ; pour une consultation donnée sur le cas de deux prêtres, interdits par l’archevêque. Ces interventions archiépiscopales rendirent les rédacteurs plus prudents. Lorsqu’en 1860 l’Univers fut supprimé par décret impérial, le propriétaire de ce journal, Taconet, entra en relations avec Migne qui lui céda la Voix de la Vérité ; celle-ci fit place au Monde qui devait, plus tard, se réunir à l’Univers. Cf. Ed. Leterrier, L’abbé Migne, dans Les Contemporains, p. 12-15 ; Eug. Veuillot, op. cit., t. iii, p. 345-347.

La Voix de la Vérité fut remplacée par une autre feuille, uniquement destinée au clergé, La Voix canonique, liturgique, historique, bibliographique, anecdotique, qui parut à partir de 1861. Victor-Étienne Migne avait fondé et dirigé de 1850 à 1854, le Journal des faits : « Tous les journaux en un. » L’abbé Migne transforma ce journal et lui donna un nouveau titre, La Vérité : il ne dura que quelques jours, 12-20 février 1854. Il le vendit à M. Prost, banquier, et lui substitua, en 1857, le Courrier de Paris. Cf. Hatin,