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Page:Alfred Vacant - Dictionnaire de théologie catholique, 1908, Tome 10.2.djvu/260

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MIRACLE, POSSIBILITÉ : LE CONTI NGENTISME


ralisme scientifique consiste précisément dans la négation directe du miracle en tant que fait surnaturel. Pour lui, le monde que nous habitons est un système clos, où rien ne pénètre du dehors. Les événements qui s’y passent, si étranges soient-ils, doivent tous trouver leur explication dans les forces ou les éléments qui le constituent, dans les influences qui s’y exercent de façon régulière. » J. de Tonquédec, art. Miracle, dans Diction, apologétique, t. iii, col. 520. Seul, le naturel est scientifique : « Par cela seul qu’on admet le surnaturel, on est en dehors de la science. » Renan, Vie de Jésus, 3° éd., préface, p. vi. Et encore : « Tout est dans la nature, l’inconnu comme le connu, et le surnaturel n’existe pas… C’est inconnu qu’il faut dire. » C. Flammarion, L’inconnu et les problèmes psychiques, Paris, 1904, p. 28-29. C’est la thèse des adversaires des miracles de Lourdes. Aigner, Lourdes im Lichte deutscher meclicinischer Wissenschaft, Munich, 1910 ; J. M. Charcot, La foi qui guérit, dans Archives de neurologie, Paris, 1893, p. 72-87 ; A. Chide, La notion du miracle, dans Revue philosophique, sept. 1912, p. 229238 ; P. Janet, Les médications psychologiques, t. i, Paris, 1919, p. 32-42 ; F. Regnault, La genèse des miracles, Paris, 1910 ; Les miracles de Lourdes, dans les Documents du progrès, févr. 1909, p. 179-188 ; P. Saint-Yves, Le discernement du miracle, Paris, 1909 ; La simulation du merveilleux, Paris, 1912, p. 255-357.

Cette attitude, qui se raidit en une fin de non recevoir, est aussi antiscientifique que possible. La science a le devoir d’examiner impartialement même les phénomènes qui paraissent en désaccord avec les notions acquises. Rejeter a priori un seul fait, sans l’examiner, c’est barrer le chemin au progrès scientifique. De plus, en lui-même, le « dogme » naturaliste est un préjugé : « Il n’appartient pas seulement à la science positive elle-même, et il serait même inconcevable qu’il lui appartienne, de dire s’il y a ou s’il n’y a pas quelque chose au delà des limites du domaine dont elle s’occupe. La science a pour objet le monde matériel, accessible à la connaissance des sens et à l’expérience. Ses méthodes ne sont pas faites pour trancher la question de savoir s’il y a quelque chose en dehors de ce monde matériel ; elles sont donc de par leur essence même absolument incapables de conduire à la négation d’un monde surnaturel. » Van Hove, op. cit., p. 172 ; cf. J. de Bonniot, Le miracle et ses contrefaçons, p. 40-42. De plus, rien n’autorise à identifier les domaines du naturel et du surnaturel ; c’est précisément ce qui est en question.

Aussi les adversaires du surnaturel adoptent-ils souvent une attitude plus étudiée, qui leur permet d’opposer à l’hypothèse du miracle une formule d’apparence plus scientifique. Deux attitudes sont ici possibles. L’une procède de l’agnosticisme et du contingentisme le miracle n’existe pas ontologiquement, parce qu’ontologiquement il n’existe pas de lois de la nature : il n’existe que des manières subjectives de concevoir ces lois ; et donc, le miracle ne saurait être une réelle dérogation à des lois que notre esprit ne fait qu’appliquer sans les constater. L’autre attitude procède du déterminisme : le miracle est un phénomène purement naturel, aucune dérogation n’étant possible aux lois fixes et immuables de la nature. Nous l’appelons miracle, parce que c’est un fait non encore expliqué scientifiquement, et que notre sens religieux l’attribue à Dieu comme « exaucement » de notre prière

1. Le contingentisme.

a) Exposé. — Nous laissons

de côté le contingentisme absolu de Ruskin, dont la forme outrancière se condamne d’elle-même : les événements se succéderaient dans le monde sans lien ni dépendance entre eux. J. Ruskin, The nature and aulhoritij of miracle, dans Contemporary review, 1875, p. 627. Certains savants de la fin du xixe siècle ont

rappelé la contingence relative des lois scientifiques : les liaisons des événements sont contingentes comme l’expérience qui les décèle. Les premiers principes de la mécanique sont eux-mêmes des hypothèses plausibles, suggérées par les faits, mais qui ne sont pas expérimentalement démontrées ni prouvées a priori. Cf. Boutroux, La contingence des lois de la nature, Paris, 1895, p. 74 ; H. Poincaré, La science et l’hypothèse, p. 113-119. C’est donc, en réalité, notre esprit qui met la liaison nécessaire entre les phénomènes observés et formule la fixité des lois naturelles.

Parallèlement à ce principe qui peut être correctement entendu, d’autres philosophes ont construit toute une théorie subjectiviste des lois de la nature. D’après la thèse bergsonnienne de 1’ « évolution créatrice », dont on trouvera l’exposé et la réfutation chez J. de Tonquédec, La notion de vérité dans la « Philosophie nouvelle », Paris, 1908 ; Dieu dans V « Évolution créatrice », id., 1912, « l’expérience des sens et de la conscience ne nous offre, dans son fond authentique, rien de discontinu. II n’y a pas d’ « objets » distincts les uns des autres, ni d’états de conscience séparés. Il n’y a que des phénomènes se fondant continuellement l’un dans l’autre. Ce sont les nécessités pratiques qui introduisent les divisions. Nous avons besoin, pour agir et pour penser clairement, d’isoler les éléments et de les envisager l’un après l’autre. Mais séparer les fils, c’est détruire la trame. II n’y a pas de « natures fixes » ; il n’y a pas de nécessité persévérante et irréductible : tout est en devenir. « Choses et état, dit Bergson, Évolution créatrice, p. 270, ne sont que des vues prises par notre esprit sur le devenir. Il n’y a pas de choses, il n’y a que des actions. » J. de Tonquédec, Introduction à l’étude du merveilleux et du miracle, p. 93-94.

Bergsonnien fervent, E. Le Roy s’empare de cette philosophie pour l’appliquer au miracle. Le miracle n’est pas un fait exceptionnel, il ne peut avoir de cause différente des causes de la nature ; il ne se distingue pas des autres faits. Il n’y a point de fait particulier : « Au point de vue des apparences immédiates, tout morcelage disparaît, comme toute classification ; et l’on n’est plus en présence que d’une continuité mouvante indistincte. Le miracle s’évanouit alors au même titre que n’importe quel phénomène particulier, dans le chatoiement universel, dans le flux ininterrompu des images. » Lssai sur la notion du miracle, i, Ann. de philos, chrét., t. cliii, p. 22, n. 4. Le miracle est une crise d’affranchissement de l’esprit par rapport à la matière. Sous l’influence de la foi religieuse, l’effort libérateur de l’esprit s’intensifie d’une façon exceptionnelle, le mouds physique, en quelqu’un de ses détails, se métamorphose à l’improviste. « Une foi quelconque, même illusoire est déjà capable d’effets merveilleux. Combien plus une foi vraie, c’est-à-dire une foi adaptée à la nature de l’esprit, conforme à sa destinée morale, à ses besoins, à ses virtualités, à ses puissances latentes ! Combien plus encore une foi divine, qui tend à le faire toujours plus être, au delà de tout ce qu’il est déjà devenu et de tout ce qu’il peut même présentement concevoir ! » Op. cit., iii, ibid., p. 249. Ainsi, « un miracle, c’est l’acte d’un esprit qui retrouve plus complètement que d’habitude, qui reconquiert momentanément une part de ses richesses et de ses ressources profondes. » Ibid., p. 247 ; cf. p. 242. Le miracle ainsi compris est surnaturel en ce sens qu’on doit l’attribuer à Dieu comme à sa cause ultime, la foi étant l’action du divin dans l’âme. On apporte à l’appui de cette thèse les textes requérant la foi pour le miracle, notamment, Matth., xvii, 29 ; Marc, vi, 5. Sur le sens de ces textes, voir art. Jicsus-Christ, t. vi, col. 1194.