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Page:Alfred Vacant - Dictionnaire de théologie catholique, 1908, Tome 10.2.djvu/382

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MŒHLER, DOCTRINE
« La profondeur de l’âme a plus d’affinité avec le

christianisme et y atteint, par conséquent, plus facilement que la spéculation », écrit Mœhler, De l’unité, p. 111, en une curieuse page où il oppose les spéculatifs aux mystiques, Paul à Jean, Clément de Rome à Ignace d’Antioche, Justin à Irénée. Il semble à Mœhler que l’Église soit plus favorable aux mystiques qu’aux spéculatifs ; ibid., p. 136. Il n’y a donc pas à rougir de paraître mystique : « la mysticité catholique a reconnu et proclamé tout ce que la méditation la plus profonde a pu imaginer au sujet de notre union et de notre existence en Dieu ; cette mysticité est même la base de l’Église catholique (c’est nous qui soulignons). Ainsi, l’on ne voit pas comment, parmi les catholiques mêmes, on puisse croire qu’on a dit une méchanceté, quand on a dit de quelqu’un qu’il est un mystique. » Ibid., p. 237. Tout théologien doit même se doubler d’un mystique : « le théologien mystique se réjouit de l’accord harmonieux et sublime que le christianisme montre dans sa totalité, dans sa vie intérieure ; il vit dans la contemplation, dans une jouissance immédiate et spirituelle, et la croit interrompue, affaiblie et profanée, lorsqu’il doit en donner une analyse. Le théologien spéculatif, au contraire, se propose cette analyse ; mais il doit avoir entendu lui-même cette harmonie, l’avoir sentie, autrement il parle d’une chose qu’il ne connaît pas et ne sait pas ce qu’il dit ». Ibid., p. 127. — Mœhler sera ce théologien mystique, qui s’enchantera des harmonies du christianisme, qui, lorsqu’il se fera spéculatif, sera beaucoup moins préoccupé de « prouver » les dogmes que d’en montrer la haute convenance, la nécessité, d’en présenter de beaux aperçus plutôt qu’une analyse précise, exacte, rigoureuse.

La foi chrétienne et l’expérience religieuse.

« D’après la doctrine de l’Église primitive, la vraie

foi, la vraie connaissance de la religion, ne saurait exister sans le Saint-Esprit, et l’on ne saurait le recevoir sans être attaché à l’Église. Mais, si nous examinons attentivement de quelle manière on se représentait cette doctrine, nous obtiendrons ce résultat : Chaque individu doit, par une impression immédiate, recueillir en lui la sainte vie répandue dans l’Église ; il doit, par une contemplation immédiate, transformer l’expérience de l’Église en sa propre expérience ; il doit faire naître en lui de pieux sentiments et une sainte conduite, et du fond de son âme sanctifiée, il doit développer la connaissance de la religion. » (Tout cela est souligné dans le texte.) De l’unité, p. 8. Tout chrétien doit donc être un mystique. Nous voici d’emblée en plein schleiermachérisme : la foi commence par le sentiment, par l’expérience religieuse. « La grande pensée qui sert de fondement à tout ce que nous venons de dire et qui en est la moelle (c’est) que le christianisme n’est pas une simple idée, mais une chose qui s’empare de tout l’homme, qui s’enracine dans sa vie, et qui n’est compréhensible qu’en lui. » Ibid., p. 11. Cette chose mystérieuse, c’est l’amour. « Personne n’a mieux pénétré cette matière que saint Ignace, …à savoir que l’amour que nous devons puiser dans le sein de l’Église et qui unit tous les fidèles, nous apprend seul ce que c’est que Jésus-Christ, ce que c’est que le christianisme. On peut résumer en ces mots tout ce que renferment ses lettres : Jésus-Christ est l’amour ; c’est en aimant que vous le trouverez. » Ibid., p. 9-10.

L’amour engendre la foi : « l’amour est la source de la vérité ; la foi du chrétien est formée par les rayons de son saint amour qui s’élèvent de son âme, qui sont saisis par son esprit, qui se réfractent et qui se transforment en idées. » Ibid., p. 18. Qui ne voit la parenté de cette genèse de la foi avec celle que l’encyclique Pascendi retrouve chez les modernistes ? « La

foi intérieure et spirituelle du chrétien, ouvrage de l’Esprit divin qui anime les fidèles, doit, aussitôt qu’elle se manifeste, chercher une expression… La foi intérieure est la racine de la foi extérieure ; celle-là, lorsqu’elle est bien entendue, est accordée avant la foi extérieure, avant la doctrine. » Ibid., p. 19. — Toute la théologie spéculative n’est et ne peut être que l’explication de l’expérience religieuse : « Comme, d’après l’idée de l’Église catholique, la vie chrétienne précède la spéculation, celle-ci puise dans le riche trésor d’une expérience intérieure, dans la plénitude inépuisable d’une sainte vie. » Ibid., p. 134. Le vrai « gnostique » n’a pas besoin de sortir de lui-même, pour parvenir à une connaissance supérieure : « L’objet, la foi extérieure, devient donc, par la grâce du Saint-Esprit, une vie particulière dans l’homme, qui renferme en elle-même une certitude immédiate… Le fidèle fait ensuite de cette vérité chrétienne l’objet de ses méditations, et la connaissance (gnosis) est le résultat} de cette contemplation de lui-même… La foi n’est pas considérée ici comme un objet placé hors de nous, qui n’est en nous que par nos conceptions, mais comme une chose qui nous est étroitement unie, qui a ses racines en nous, qui vit en nous, et qui propage ses forces vitales. La connaissance (gnosis) est donc une reconstruction de la foi de l’Église, un développement scientifique de ce que renferme l’âme du fidèle. » Ibid., p. 121. Nous voici bien dans l’immanence.

La doctrine chrétienne.

Comme la foi intérieure,

dont elle n’est qu’une traduction intellectuelle, la doctrine, ou foi extérieure, est l’œuvre du Saint-Esprit. « La doctrine ne peut et ne doit point être considérée comme l’ouvrage des hommes, mais comme le don du Saint-Esprit. » Ibid., p. 28. Il s’ensuit qu’il ne peut y avoir qu’une vraie doctrine, celle de l’Église, et que cette vraie doctrine ne peut varier : « Comme chacun en particulier ne reçoit le principe de vie et la foi intérieure que de la communauté, … ainsi la véritable expression de la foi intérieure, la vraie doctrine ne peut être déterminée et conservée non plus que par la communauté. » Ibid., p. 26. « La même cause produit le même effet : tous les fidèles ( à travers l’espace et à travers le temps) ont une même connaissance, une même foi, parce que la même force divine la constitue. » P. 37. Que l’on remarque l’originalité de cette dernière pensée : pour Mœhler la doctrine, pas plus que la foi qui l’engendre, n’est une chose morte, figée dans une formule ne varietur ; c’est l’effort perpétuel au sein de l’Église pour traduire intellectuellement la vie de la foi. La doctrine, comme la foi, est une création permanente de l’Esprit-Saint dans l’Église. Mais, parce que c’est le même Esprit qui toujours travaille les âmes, c’est la même foi, c’est la même connaissance qui toujours en résulte. « Le même Saint-Esprit qui, du vivant de ces saints hommes (les Pères antérieurs), animait l’Église, ranimant toujours, se manifeste de la même manière en lui (le catholique des âges postérieurs) qu’il s’était manifesté en eux, il croit pour cette raison ce que les chrétiens ont toujours cru avant lui : sa foi n’est pas une foi d’autorité… ; sa concordance avec la foi de tous les temps est une suite nécessaire du caractère particulier du christianisme, a Ibid.. p. 36-37.

La tradition et l’Écriture.

S’il est une notion

importante dans la théologie mœhlérienne, c’est bien celle de tradition ; cf. Vermeil, p. 139-145. Essayons de préciser l’idée qu’il s’en fait. « Cette force vitale et spirituelle qui, dans l’Église, se propage et se transmet, est la tradition, qui en est le côté intérieur, mystique et se dérobant à tous les regards. » De l’unité, p. 7. Somme toute, la tradition, c’est le christianisme même, c’est la vie chrétienne : < le christianisme ne