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Page:Alfred Vacant - Dictionnaire de théologie catholique, 1908, Tome 10.2.djvu/383

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MŒHLER, DOCTRINE

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consiste pas dans des expressions, dans des formes et des locutions ; c’est une vie intérieure, une sainte force : et toutes les doctrines et tous les dogmes n’ont de valeur que pour autant qu’ils expriment la substance que l’on suppose ainsi exister. » Ibid., p. 38. On ne peut « justifier les sentiments de ceux qui représentent la tradition comme quelque chose d’indépendant de la vie sanctifiée de l’Église, comme quelque chose d’appris et de propagé par l’enseignement, comme quelque chose d’extérieur qui ne découle pas d’une âme inspirée, et qui est conservé néanmoins en quelque sorte et comme par enchantement par le Saint-Esprit. » Ibid., p. 243. En définitive, et pour parler clairement, la tradition ne serait pas autre chose que la foi intérieure, non encore formulée en doctrine, que le Saint-Esprit entretient et renouvelle constamment dans l’Église ; c’est un « sens intime », une « conscience », Symbolique, t. i, p. 36-39, qui permet à l’Église de discerner intuitivement et infailliblement la vérité chrétienne, ou mieux qui renferme cette vérité, de telle sorte que l’Église n’a qu’à descendre en elle-même pour connaître le vrai christianisme ; « c’est la Parole de Dieu vivant éternellement dans le corps des fidèles ; c’est le sens chrétien existant dans l’Église et transmis par l’Église, sens qu’on ne peut séparer des vérités qu’il renferme, puisqu’il est formé de ces vérités et par ces vérités. » Ibid., p. 39. Cf. Défense de la Symb., p. 416-418. — M. Vermeil nous avertit que cette conception mœhlérienne de la tradition n’est autre que celle de Schleiermacher (p. 139), et de Neander (p. 152, note 5), son disciple. Il ajoute que cette « conception de la tradition est objet de foi et d’idéologie, plutôt que de science solide. Elle repose sur une vision purement mystique de l’organisme chrétien. » P. 154. Nous savons que Mœhler ne se serait pas offensé du propos. « L’Écriture sainte est l’expression corporifiée du Saint-Esprit (il serait plus juste de lire : du saint esprit ou de l’esprit chrétien) au commencement du christianisme par le moyen des Apôtres qui étaient doués d’une grâce particulière. Sous ce rapport, l’Écriture sainte est le premier membre de la tradition écrite. » De l’unité, p. 46. Cette considération est grosse de conséquences : si l’Écriture n’est qu’une première expression de la tradition et si la tradition ne peut pas varier, il s’en suit « que toute doctrine rejetée par l’Église n’est pas contenue dans l’Écriture, et que tous les dogmes qu’elle proclame y sont renfermés. » Symb., t. ii, p. 68. « L’Église et l’Écriture enseignent les mêmes vérités. De là il suit par une conséquence rigoureuse, nécessaire, que l’exégèse la plus fidèle et la plus parfaite par conséquent, c’est précisément celle-là même qui reproduit les dogmes et la morale de l’Église. Ainsi donc, en imposant à ses membres l’obligation de retrouver dans l’Écriture ses divins enseignements, la société catholique proclame la première règle de l’exégèse scientifique. » Ibid., p. 79.

Une curieuse « addition » au livre De l’unité, p. 257-265, nous révèle à quels procédés l’cxégète catholique s’est vu parfois obligé de recourir, pour rester fidèle à cette règle fondamentale de l’interprétation orthodoxe de l’Écriture sainte. Un mystique comme Mœhler admettait facilement que le « vrai sens » de l’Écriture n’en soit pas nécessairement le sens littéral.

Il est une autre conséquence de l’identification de l’Écriture et de la tradition, c’est que l’Église ne peut plus s’appuyer sur l’Écriture comme sur une chose distincte d’elle-même, pour prouver à qui les nierait, aux protestants par exemple, ou ses dogmes en particulier OU son autorité en général. Mœhler l’a fort bien vu : L’Église ne jette pas ses propres fondements

dans l’Ecriture sainte… Si elle invoquait les pages divines en sa faveur, au fond elle s’appuierait elle-même sur elle-même. Elle ne cherche pas non plus ses titres et ses lettres de créance dans la tradition (pour la même raison). » Défense, p. 417. D’ailleurs, dans un système qui fait de la mysticité la base même de l’Église, des preuves extérieures n’ont plus leur raison d’être : « la tradition ne peut et ne doit, à proprement parler, fournir aucune preuve de quelque doctrine chrétienne que ce soit ; comme Jésus-Christ et les Apôtres ne prouvèrent pas leur doctrine, ainsi la tradition ne doit rien prouver elle-même : elle présuppose la vérité que chacun doit connaître. » Dr l’unité, p. 34. — Mais alors « si vous ne prouvez l’Église ni par l’Ecriture ni par la tradition, comment la prouvezvous ? — La réponse est facile : nous ne prouvons pas l’Église, nous l’admettons nécessairement. » Défense, p. 418. L’homme ne peut pas tout prouver : « en tout ordre de conceptions scientifiques, il part d’un premier principe clair, évident, certain, … qu’on est forcé d’admettre sans preuve sous peine de saper l’édifice par la base… Dans la science de la religion chrétienne, ce premier principe… c’est l’Église une, sainte, permanente, indéfectible, universelle… Niez ce fait, rejettez la société des fidèles, méconnaissez l’autorité du corps enseignant, … tout le christianisme s’écroule à l’instant. » Ibid., p. 419. Voilà où Mœhler est conduit par la logique de son système.

Rapports du naturel et du surnaturel.

Si nous

quittons le domaine de la théologie générale pour entrer dans la théologie spéciale, le gros problème que soulève une lecture attentive de la Symbolique est celui de la distinction ou de la confusion chez Mœhler de l’ordre naturel et de l’ordre surnaturel. « Observons que nous puisons la connaissance de Dieu à deux sources différentes : dans la révélation naturelle et dans la révélation surnaturelle, en d’autres termes dans la révélation de Dieu en nous et dans la révélation du Sauveur hors de nous. Or, non seulement la révélation intérieure enfante la vérité dans nos cœurs, mais elle est encore, pour ainsi dire, l’organe qui saisit la révélation extérieure… Ainsi deux révélations d’une seule et même vérité. » Symb., t. ii, p. 90. Mœhler emploie indifféremment et comme parfaitement synonymes les expressions de « vérités surnaturelles », « vérités religieuses », « doctrine évangélique » ; cf. p. 91. En un mot, le contenu de la conscience religieuse et le contenu de la doctrine évangélique se recouvrent exactement. Nous pouvions nous y attendre dans une théologie immanentiste comme celle de Mœhler.

Mais pourquoi qualifier de surnaturelles les vérités religieuses, pourquoi en attribuer la présence dans la conscience, à une « révélation naturelle » ? — singulière formule, remarquons-le en passant. -C’est parce que l’homme est naturellement incapable de s’élever à la connaissance et à l’amour de Dieu : » l’homme s’agite vainement dans son impuissance, il ne peut franchir la distance immense qui sépare le fini de l’infini. Il faut donc que Dieu prenne l’homme au fond de son néant, pour l’élever Jusqu’à lui par la fui et par la charité. De même qu’il se révéla extérieurement, par la parole, à l’intelligence du premier homme, de même il agit sur sa volonté intérieurement, par la grâce, afin que la parole le saisît profondément, éveillât toutes ses facultés spirituelles et le mît dans un rapport intime avec la vérité suprême et le souverain bien. Ces deux actes de la Divinité sont également nécessaires dans tous les temps, avant comme

après la chute -originelle ; Inséparables l’un de l’autre, ils marchent sur la même ligne, et forment dans leur étroite union le contre-pied complet du naturalisme, t

Ibid., 1. 1, p. 8. M. Vermeil, p. 46, volt ici à bon droit