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Page:Alfred Vacant - Dictionnaire de théologie catholique, 1908, Tome 10.2.djvu/419

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    1. MOLINISME##


MOLINISME, LA PRÉDESTINATION

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Si, par impossible, Dieu, en choisissant tel ordre de choses et de secours, n’avait pas eu la science moyenne par laquelle il pénétrait la détermination du libre arbitre créé et les réalités contingentes qui en dépendent, ce choix aurait eu raison de providence, mais non de prédestination, car l’incertitude inhérente à l’utilisation future du libre arbitre n’aurait pas été levée pour Dieu. Ce n’est donc pas au choix de l’ordre de choses et à la providence divine qu’il faut rapporter la prédestination et la certitude du salut du prédestiné, mais à la prescience seule.

On voit dès lors comment notre libre arbitre et celui des anges s’accordent avec la prédestination divine, comment chacun des anges a pu et chaque adulte peut encore parvenir ou non à la vie éternelle, comme si l'élection de l’ordre de choses que Dieu a choisi de toute éternité n’avait pas eu raison de prédestination. Sans la science moyenne, en effet, cette élection, qui est seulement providence, laisse l’attitude future du libre arbitre dans l’incertitude pour Dieu comme elle l’est en elle-même. D’autre part, la science que la prédestination ajoute à cette élection et à la providence n’enlève absolument rien à la liberté, puisque nous n’arrivons pas à la vie éternelle parce que Dieu l’a prévu, mais qu’inversement Dieu a prévu ce que nous ferions librement et aurait prévu le contraire si, comme nous le pouvons, nous le faisions. Sans doute, il est impossible que nous soyons prédestinés et ne parvenions pas à la vie éternelle, ou que Dieu prévoie notre coopération et que nous ne la donnions pas ; mais il n’en est pas moins vrai, que, si nous ne coopérions pas à notre salut, la prédestination et la prescience de ce salut n’auraient pas existé en Dieu. Donc, au sens composé, il est absolument nécessaire que le prédestiné arrive à la vie éternelle ; mais, au sens divisé, nous restons libres, et il est possible que le prédestiné ne soit pas sauvé, tout comme si la prédestination n’existait pas.

Molina ne se représente donc pas la prédestination comme un choix purement arbitraire par lequel Dieu, sans tenir aucun compte de la liberté de chacun et pour avoir l’occasion de manifester à la fois sa miséricorde et sa justice, aurait décidé de conduire les uns à la vie éternelle et de repousser les autres à cause des péchés dont il savait qu’ils se rendraient coupables, par le fait même qu’ils n'étaient pas prédestinés. Il se refuse à se représenter Dieu rusant en quelque sorte avec le libre arbitre de tous, pour réaliser son dessein, afin qu’en tous cas les prédestinés arrivent à la vie éternelle et les autres finissent par être damnés. Il ne pense pas que le bon usage du libre arbitre dépende de la seule prédestination et de ses effets, de sorte que le prédestiné et le réprouvé ne puissent s’orienter dans un autre sens, comme si le premier n'était pas prédestiné et si le second l'était. Tout cela lui paraît indigne de la majesté et de la bonté de Dieu, contraire à l’Ecriture et dangereux, sinon tout à lait erroné.

Il croit au contraire que Dieu, prévoyant tous les futurs, a choisi d’un seul coup, dans sa sagesse, sa bonté, sa miséricorde et sa justice, l’ordre de choses qui s’est déroulé depuis la création et se déroulera jusqu'à la fin des temps, comme s’il l’avait choisi par parties, selon les événements, sans avoir la prescience de ce que feraient les créatures libres. Il croit, en conséquence, que Dieu a décidé éternellement de créer el a créé en réalité les anges et les hommes dans l'état d’innocence, comme s’il n’avait rien prévu de la chute de certains anges et de nos premiers parents, Cela résulte des dons et secours avec Lesquels il les a créés et dont il les a pourvus pour qu’ils arrivassent facilement à la vie éternelle par leurs propres mérites, et s’accorde avec la vérité el la bonté divines

comme avec les témoignages explicites de l'Écriture.

Il ne pense pas que Dieu ait eu en vue dès l'éternité la perte des anges et des hommes, pour avoir quelqu’un à punir justement, ou qu’il s’en soit réjoui. La chute eut lieu en dehors de l’intention de Dieu et pour ainsi dire contre sa « velléité », car il avait en vue le contraire et l’attendait ; mais, parce qu’il voulait voir ses créatures acquérir la béatitude librement et-par leurs propres mérites, la providence devait permettre le péché et en tirer par sa sagesse, sa justice, sa bonté et sa miséricorde, de plus grands biens, en punissant éternellement les pécheurs pour faire éclater sa justice vindicative, et en faisant miséricorde à certains par son Fils, tout en sauvegardant la rigueur de sa justice.

Dieu donc, prévoyant de toute éternité la chute de quelques anges et du genre humain, dans l’hypothèse où il établirait les anges et les hommes dans l'état d’innocence, a choisi, avec l’ordre de choses antérieur à la chute, la réintégration du genre humain par l’avènement et les mérites du Christ, et tout l’ordre de choses qui suivrait jusqu'à la fin des temps, exactement comme s’il avait ignoré l’avenir et choisi la restauration du genre humain après la faute originelle.

Puisque, d’autre part, tous les péchés dérivent de la faute originelle comme de leur source, il faut ajouter qu’eux non plus ne se produisent par l’intention et la volonté de Dieu, mais arrivent plutôt contre sa « velléité ». Voilà pourquoi il est vrai que, pour sa part. Dieu veut le salut de tous sans exception et ne veut pas la mort du pécheur, mais plutôt qu’il se convertisse et vive. Le choix de l’ordre de choses qui se déroulera jusqu'à la fin des temps vise à la réalisation de cette volonté salvifique universelle.

Mais, dans cet ordre de choses, Dieu a laissé chacun des adultes maître de ses actes et de son sort, comme s’il n’avait pas la prescience de ce qu’ils feraient et deviendraient ; donc comme s’il n’y avait pas en lui de prédestination, mais seulement une providence décidée à pourvoir au salut des hommes après avoir pris connaissance de leurs œuvres.

En un mot : 1. Dieu a choisi librement l’ordre de choses et de secours, dans lequel il prévoyait que certains adultes ou enfants parviendraient à la vie|éternelle et les autres pas, plutôt que tel autre ordre de choses où les élus et les réprouvés eussent été différents ; il n’y eut ni cau-se ni raison à ce choix du côté des prédestinés. — -2. Mais si le choix de cet ordre de choses a eu raison de prédestination pour ceux-ci et non pour ceuxlà, la raison ou la condition en fut, du côté des adultes, que les uns coopéreraient librement, les autres non, et que Dieu l’a prévu par la hauteur de son intelligence. — - 3. Enfin, quoique Dieu n’ait pas été lié, dans son choix de tel ordre de choses, par l’usage qu’il prévoyait devoir être fait de la liberté, il a pu cependant en tenir compte en bien des cas ; il convenait même qu’il le fît, et il l’a l’ait en réalité, comme on l’a montré plus haut. (Q. xxiii, a. 1 et 5, disp. I, memb. 13, p. 539-545.)

4. Comment, à lu lumière de ces conclusions, il /mit expliquer certains textes des Pères et de l’Ecriture. — Deux choses, on l’a vu. sont nécessaires pour que L’adulte parvienne à la vie éternelle et soit prédestiné par Dieu : que Dieu ait décidé de lui donner les secours avec lesquels il a prévu que cet adulte coopérera ; qu’en fait celui-ci coopère librement de façon à mourir en état de grâce. La première condition dépend de Dieu, la seconde de l’homme,

Les Pères antérieurs à Pelage et à saint Augustin, considérant cette dernière, ont presque tous affirmé que la prédestination fut conforme à la prescience

de l’usage du libre arbitre, et se sont efforcés d’Interpréter en ce sens les Écritures. En présence de