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Page:Alfred Vacant - Dictionnaire de théologie catholique, 1908, Tome 10.2.djvu/420

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MOLINISME, LA PRÉDESTINATION


l’hérésie pélagienne niant la nécessité de la grâce, saint Augustin a montré, d’après l'Écriture, que le commencement du salut vient de Dieu, par la grâce prévenante et excitante, et que les secours de la grâce sont donnés selon le bon plaisir de Dieu, non selon ce que vaut l’usage du libre arbitre. Mais il a cru devoir conclure de là que la prédestination éternelle relève de l'élection seule et du bon plaisir de Dieu, et qu’elle n’est pas selon les mérites et l’usage prévu de la liberté. Voilà pourquoi il a entendu le Vu.lt omnes homines salvos fieri, Tim. ii, non de tous les hommes, mais des prédestinés seuls. Doctrine troublante, qui a donné naissance, par réaction, au semi-pélagianisme, mais qui a été suivie cependant par saint Thomas et la plupart des scolastiques.

Les anciens Pères ont toujours admis sans controverse, tant l'Écriture l’affirme clairement, que nous sommes doués de libre arbitre ; que nul ne peut parvenir à la vie éternelle si la grâce ne lui est conférée par les mérites du Christ ; qu’aucun adulte ne peut être justifié, mériter la vie éternelle et y arriver par ses seules forces, sans le secours de la grâce surnaturelle ; qu’il y a en Dieu prescience de tous les futurs et prédestination des bons pour la vie éternelle par la grâce, les dons et les secours surnaturels ; enfin que tout cela ne supprime ni n’entrave le libre arbitre, mais s’accorde avec lui. Ils admettent de même tous que ce qui dépend de la créature libre n’arrive pas parce que Dieu l’a prévu, mais que Dieu l’a prévu parce que cela arrivera. Quant à la question de savoir si le commencement du salut, si le premier acte salutaire de foi, d’espérance, de contrition ou de charité émane de la seule volonté de l’adulte, ou s’il suppose la grâce prévenante ou excitante, elle ne fut discutée et tranchée qu'à l’occasion de l’hérésie pélagienne.

Malgré cet accord unanime, saint Augustin et les autres ont toujours jugé extrêmement difficile de trouver une explication pleinement satisfaisante de l’accord du libre arbitre avec la grâce, la prescience et la prédestination, qui fasse comprendre comment l’adulte opère ou non son salut et obtient ou non la vie éternelle selon sa propre volonté. On a bien réfuté les hérétiques qui ont voulu porter préjudice soit à la grâce, soit à la liberté, « mais je ne sais, déclare I jlina, si les explications données ont ouvert aux hérétiques la voie de retour à l’unité de l'Église, et mis fin autant qu’il l’eût fallu aux discussions qui sont nées parmi les catholiques il y a mille ans » (p. 547).

Les uns, considérant la coopération humaine, ont dit que la prédestination a été faite selon la prescience des actes libres et les mérites de chacun ; les autres, considérant les secours gratuits de Dieu, ont dit que la prédestination a été faite selon la volonté et le bon plai ir de Dieu. Ni les uns, ni les autres n’ont remarqué qu’autre chose est la prédestination selon la prescience (secundum præscienliam) en ce sens que Dieu aurait décidé de donner ses secours d’après la qualité des actes libres ou à cause d’elle ; autre chose la prédestination avec la prescience (non sine præscientia) en ce sens que Dieu a tenu compte de l’usage qu’il prévoyait devoir être fait de la liberté. Molina, lui, estime avoir posé quelques principes qui eussent peut-être été de nature à empêcher de naître les hérésies pélagienne et luthérienne, à mettre fin facilement au semi-pélagianisme, à apaiser les discussions entre catholiques.

Le principe fondamental est la manière dont Dieu influe par son concours général sur les actes libres, et par ses secours particuliers sur les actes surnaturels ; le second est l’explication du don de persévérance qui requiert, outre un secours spécial de Dieu, la libre coopération de l’homme, sans laquelle la volonté de donner ce secours n’aurait pas été volonté

de conférer le don de persévérance. Ces deux principes ont suffi pour concilier notre libre arbitre avec la grâce.

Un troisième principe, celui de la science intermédiaire ou moyenne (scienlia média) entre la science libre et la science purement naturelle, a mis en lumière l’accord du libre arbitre créé avec la prescience.

Le quatrième principe est que, si Dieu a voulu créer tel ordre de choses plutôt qu’un autre, il n’y eut à cela ni cause ni raison de la part des prédestinés ou des réprouvés ; mais que, si cet ordre a eu raison de prédestination pour les uns et non pour les autres, cela est dû à la prévision de l’usage que chacun ferait de sa liberté. Ce principe a permis de ramener la difficulté de concilier la liberté avec la prédestination à celle de la concilier avec la prescience, et de faire, à propos de la « prédestination selon la prescience », une distinction féconde. La prescience n’est pas cause de la prédestination, mais elle ne lui est pas étrangère.

Ainsi s'éclairent et s’harmonisent la plupart des textes patristiques qui paraissent se contredire. Ceux qui nient la prédestination selon la prescience doivent être entendus, autant que possible, dans le premier sens : ils veulent dire que les mérites indrviduels ne sont pas cause de la prédestination. C’est le cas des textes de saint Augustin et de ses disciples. Ceux au contraire qui affirment la prédestination selon la prescience doivent être entendus, autant que possible, au second sens : ils veulent dire que Dieu a prédestiné librement les hommes, en tenant compte du bon usage qu’ils feraient de leur liberté. C’est le cas des textes d’Origène, de saint Athanase, de saint Jean Chrysostome, de saint Ambroise, etc. sur Rom., ix.

Molina ne doute pas que cette opinion nouvelle sur l’accord du libre arbitre et de la prédestination (a nemine quem viderim, hucusque tradita) eût été approuvée unanimement par saint Augustin et les autres Pères, s’ils l’avaient connue. (Q. xxiii, art. 4 et 5, disp. I, memb. ult., p. 545-550.)

2° Le Christ a-t-il été, par ses mérites, cause de notre prédestination ? — 1. Le Christ n’a pas été cause de notre prédestination quant à son effet intégral. Il nous a mérité les dons surnaturels qui nous conduisent à la vie éternelle, non les dons purement naturels qui font partie, à titre d’adjuvants, de l’effet intégral de la prédestination : tempérament qui porte à la vertu, naissance en pays chrétien, etc. Ces dons résultent de la disposition de l’univers telle que Dieu l’a établie avant la chute, et sont indépendants de l’ordre de la grâce. Telle est l’opinion de Driedo, De redemptione et captivitate generis humani, t. ii, c. ii, p. 3, art. 4.

2. Néanmoins, certains effets naturels tirent leur origine des mérites du Christ : ce sont tous ceux qui sont obtenus par la prière, dont l’efficacité est due aux mérites du Christ. Ainsi, la fécondité de Rébecca, la naissance de Samuel et de Jean-Baptiste.

3. Le Christ n’a pas été cause de notre prédestina tion quant à son effet surnaturel intégral ; car il n’a pas été cause de l’incarnation, ni de ses mérites (cf. saint Augustin, De prtedestin. sanct., c. xv) qui sont au premier rang des effets surnaturels de notre prédestination.

4. Il a cependant été cause, non seulement de la première grâce justifiante et des secours surnaturels qui la suivent, mais encore de la foi et de toutes les dispositions surnaturelles qui préparent à la première grâce, ainsi que des miracles et de toutes les faveurs surnaturelles qui nous aident. C’est ainsi qu’il fut cause méritoire des prières de saint Etienne et de sainte Monique qui amenèrent la conversion de saint Paul et de saint Augustin.

Ici, Molina s’inscrit en faux contre Driedo (toc. cit.).