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Page:Alfred Vacant - Dictionnaire de théologie catholique, 1908, Tome 10.2.djvu/462

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MONOPHYSISME


t. v, col. 1595 sq., où l’on a établi que monophysisme et eutychianisme n’étaient pas, contrairement à une opinion assez courante, des termes synonymes, mais qu’il y avait entre eux la différence du genre et de l’espèce. L’eutychianisme est une espèce du monophysisme, la forme la plus radicale, celle qui mérite vraiment le nom de monophysisme et que nous avons appelée le monophysisme réel. Nous n’avons pas à en parler ici, puisqu’il a été longuement décrit sous ses diverses formes à l’article cité.

A côté de l’eutychianisme, il y a le monophysisme verbal, qui tient tout entier dans les formules. Le monophysisme verbal est une manière particulière d’exprimer le dogme de l’incarnation. Il est basé sur la signification spéciale attribuée au mot (pôaiç, d’abord par Apollinaire, Théodore de Mopsueste et Nestorius, puis par saint Cyrille. d’Alexandrie pour les réfuter. <S)ùaiç, d’après ces auteurs, ne signifie pas simplement la nature individuelle prise comme telle, abstraction faite de son suppôt ou de sa subsistence — il n’est pas encore question, à cette époque, quand il s’agit de l’incarnation, de la nature abstraite et universelle commune à plusieurs individus — ; ce terme désigne la nature concrète et subsistant en elle-même d’une existence séparée et indépendante. C’est dire que cpùatç, dans ce sens, est un parfait synonyme d’Û7r6aTaCTiç et de npôaiùnov : c’est une nature qui est en même temps une personne, une nature-personne. Quiconque fait sienne cette terminologie ne peut reconnaître, s’il veut être orthodoxe, qu’une seule çiiaiç dans le Verbe incarné, non seulement avant l’union de la divinité et de l’humanité, mais aussi après leur union, puisque, aux termes du dogme, il n’y a dans le Christ qu’une seule personne, la personne du Verbe éternellement subsistante, qui a étendu à la nature humaine individuelle, concrète et complète à laquelle il s’est uni. sa subsistence propre, et la supporte dans l’être. Ce point de vue une fois adopté amène d’autres formules. Le théologien monophysite, l’œil toujours fixé sur la personne ou cpûaiç du Verbe, exprime tout en fonction de la personne. Il ne nie pas l’existence réelle de la nature humaine prise par le Verbe ; il ne lui enlève rien de ce qui la constitue ; il la maintient intègre et sans mélange dans l’union ; à plus forte raison ne veut-il porter aucune atteinte à l’immutabilité du Verbe. Mais il voit continuellement cette nature sous la dépendance du Verbe, qui l’a faite sienne, qui la meut a son gré, qui agit en elle et par elle d’une manière humaine, comme il agit d’une manière divine dans sa nature divine. Cette conception n’a en soi rien d’hétérodoxe. Cette terminologie ainsi expliquée perd tout relent d’eutychianisme. Elle est d’une efficacité souveraine pour maintenir l’unité véritable du Christ et dissiper l’équivoque qui se cachait sous l’unique prosôpon nestorien, couvrant de son ombre deux personnes véritables : celle du Verbe et celle du fils de Marie. C’est pour cela que saint Cyrille, dans sa lutte contre Nestorius, l’avait adoptée ; c’est pour cela qu’il avait fait sienne la fameuse formule, qui est l’enseigne du monophysisme verbal : MEa çuaiç xoû 0eoû Aéyou aeaapxcù-U. ÉVY) ; formule dont l’origine sans doute était suspecte et vraiment monophysite, forgée qu’elle avait été par les apollinaristes, mais que Pévêque d’Alexandrie crut de bonne foi être de son prédécesseur, saint Athanase, et dont il tira un merveilleux parti pour démasquer l’hérésie.

Cette terminologie cependant présentait, à d’autres points de vue, de sérieux inconvénients. Si elle frappait au cœur le nestorianisme, elle pouvait abriter toutes les formes du monophysisme réel et hérétique. Elle rompait l’harmonie et la continuité du langage théologique déjà reçu, non seulement en Occi dent mais aussi en Orient. Oôcuç, dans la théologie trinitaire, avait pris un sens bien précis, distinct du sens des mots ûnàotoicsiq et npôotanov. Il était anormal de faire dire nature à cpûatç dans la GeoXoyîa, et de lui faire dire personne et hypostase dans l’otxovou.[a. De plus, à force de considérer toujours en Jésus le Dieu, n’y avait-il pas danger de laisser en lui l’homme dans l’ombre ? Ce regard exclusif sur Dieu le Verbe, tenant sous son emprise toute-puissante la nature humaine, pouvait, à la longue, amener à considérer cette nature comme un pur automate dépourvu de spontanéité, de liberté et d’activité vraiment humaines. L’histoire a montré que ce danger n’était pas illusoire. C’est pour ces raisons que le mode de parler monophysite n’a pas eu, finalement, les préférences de l’Eglise. A Chalcédoine, elle en a canonisé un autre ; elle a adopté un langage franchement dyophysile, tout en prenant les précautions nécessaires pour écarter l’erreur opposée. Au demeurant, elle n’a pas condamné le parler de saint Cyrille, dont les formules sont revenues dans les canons du cinquième concile œcuménique : mais elle n’a pas usé de celles-ci d’une manière exclusive, suivant en cela l’exemple du saint docteur lui-même. Il y a un monophysisme verbal orthodoxe qui, employé modérément et conjointement avec la terminologie dyophysite, a été reconnu légitime et aurait pu, à un moment donné, ramener au giron de l’Église catholique les adversaires du concile de Chalcédoine, si l’esprit de schisme avec son entêtement habituel n’eût déjà prévalu parmi eux et ne leur eût fermé les voies du retour.

De ce refus de reconnaître comme légitime la terminologie canonisée au concile de Chalcédoine, et de cet attachement exclusif au parler monophysite, est né le grand schisme monophysite du ve siècle, schisme qui a persévéré à travers les siècles et qui n’est pas encore éteint, puisque trois groupes ecclésiastiques orientaux importants : le groupe copte et abyssin, le groupe syrien jacobite et le groupe arménien grégorien, s’y tiennent encore. Nous parlons de schisme et non d’hérésie, non que les premiers dissidents et les sectes qui se réclament d’eux n’aient mérité et ne méritent encore l’épithète d’hérétiques, mais parce que leur sécession fut due avant tout au refus d’obéir à la voix du pape et du concile œcuménique, sur une question de terminologie dogmatique, alors que, sur le point précis de l’union des deux natures dans l’unique personne du Verbe, ils conservaient — la plupart d’entre eux, du moins — une pensée orthodoxe, comme en font foi leurs écrits et la croyance des Églises monophysites issues de leur rébellion. Dans ces antichalcédoniens de la première heure nous avons des partisans du monophysisme verbal, mais du monophysisme verbal exclusif. Ce monophysisme verbal exclusif est devenu hétérodoxe parce qu’exclusif. On lui a donné récemment le nom de monophysisme sévérien, à cause du théologien le plus illustre de la secte, Sévère, patriarche d’Antioche. C’est avant tout et principalement de ce monophysisme verbal hétérodoxe ou monophysisme sévérien, que nous avons à parler dans cet article.

Pour traiter la question dans toute son ampleur, il ne suffit pas d’examiner le monophysisme, tel qu’il se présente dans les écrits de Sévère d’Antioche et dans les théologiens qui l’ont précédé ou ont été ses contemporains : il faut aussi en suivre l’évolution dans les groupes ecclésiastiques indépendants qui se sont constitués sous sa bannière, après des vicissitudes diverses : il faut rechercher si les Églises monophysites sont restées fidèles à la doctrine des premiers chefs, ou si elles ont versé dans le monophysisme réel, dont Eutychès est le patron. Cette recherche ne portera que sur le point précis de la christologie, et ne regar-