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Page:Alfred Vacant - Dictionnaire de théologie catholique, 1908, Tome 10.2.djvu/467

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MONOPHYSISME, LES ÉGLISES MONOPHYSITES


pensée orthodoxe sur le mystère de l’incarnation. Entre eux et les catholiques adhérant à la définition de Chalcédoine, existe un malentendu verbal qu’un peu de bonne volonté et d’esprit de conciliation eût pu facilement dissiper, mais que l’esprit de parti et la fureur polémique envenimèrent. Le point de départ de la querelle est une définition différente du mot cpùcr’.ç. Elle tourne à une véritable logomachie, dont plusieurs auteurs anciens se sont bien aperçus. Quand nous disons que ces monophysites gardent une pensée orthodoxe, nous ne voulons pas nier qu’on ne trouve chez eux des expressions équivoques ou même franchement fausses, si on les prenait à la lettre, sans tenir compte de ce qu’ils disent ailleurs. Pour découvrir leur orthodoxie foncière, il faut, avec beaucoup d’attention, de la bienveillance et de l’indulgence. Il faut parfois supposer charitablement qu’ils ne se sont pas grossièrement contredits et interpréter d’une manière bénigne certaines locutions, expressions et comparaisons empruntées pour la plupart aux Pères antérieurs et présentant dans leur sens obvie une pensée hétérodoxe. J. Lebon, qui a déployé à montrer qu’ils n’étaient pas eutychiens une érudition remarquable et une dextérité rare, le reconnaît lui-même : « A la période des premières et des plus passionnées résistances au nestorianisme, qu’ils croyaient découvrir dans la définition de Chalcédoine, nos docteurs, on le comprend sans peine, étaient bien plus portés à mettre en lumière la parfaite unité du Christ qu’à s’étendre sur la conservation et l’intégrité des deux éléments qui avaient concouru à l’union. Certaines locutions et comparaisons employées par eux, certains excès, peut-être, de langage provoqués par l’ardeur même de la controverse, ont donné complètement le change sur leur pensée, et c’est par suite de ces incorrections de forme que le terme monophysism’* est devenu, chez les théologiens et chez les historiens, le nom réservé à la doctrine de la nature mixte ou double, constituée par le mélange et l’altération réciproques de la divinité et de l’humanité du Christ… Ainsi, on rencontre fréquemment sous leur plume les mots mêmes de mixtion et de mélange, de même que les verbes correspondant à ces termes, pour caractériser l’union du Verbe et de la chair. Nous pourrions citer de nombreux passages dans lesquels il est dit que les éléments ont été mêlés et mélangés, que la divinité a été mêlée à l’humanité, que le Verbe s’est mêlé à la chair, etc. » Op. cit., p. 212, 218.

Parmi les comparaisons auxquelles ces théologiens ont recours pour exprimer l’intimité de l’union hypostatique et l’unité du Christ, il en est une qui revient constamment sous leur plume et dont saint Cyrille d’Alexandrie avait déjà fait un fréquent usage : c’est celle qui est tirée de l’union de l’âme et du corps dans l’individu humain. Sagement expliquée et prise comme simple comparaison, c’est-à-dire comme ne représentant pas d’une manière en tout adéquate la sublime réalité qu’elle doit mettre en lumière, cette comparaison est merveilleusement apte à réfuter le dualisme hypostatique et à inculquer le lien substantiel qui joint l’humanité à la personne du Verbe. Aussi la rencontre-t-on dans le symbole Quicumque : Sicul anima ratianalis et caro unus est homo, ita Deus et homo unus est Christus. Il ne faudrait pas cependant pousser la similitude à l’extrême, car on friserait le synousiasme apollinariste ; on serait acculé au théopaschitisme, et Dieu le Verbe verrait son immutabilité compromise. On aboutirait alors vraiment à l’une des formes les moins grossières de l’eutychianisme, c’est-à-dire à la théorie de la composition en tout naturel, que nous avons décrite à l’article Eutychia-NI 8MB ET monophysisme, loc. cit., col. 1606. Les mono physites sévériens ne prennent guère la peine, dans leurs écrits, d’expliquer que la comparaison cloche, et ils l’emploient avec une telle insistance qu’on a pu, de ce chef, se méprendre sur leur vraie pensée et les accuser d’eutychianisme avec une apparence de raison. Cf. Lebon, op. cit., p. 221-223.

De tout ce que nous venons de dire du monophysisme sévérien, il ressort qu’après l’apparition de l’eutychianisme, la terminologie monophysite ne pouvait être acceptée par l’Église d’une manière exclusive. Elle ne pouvait même être acceptée en aucune façon pour ce qui regarde les propriétés, les opérations et les volontés. Les formules de Chalcédoine et du Tome de Léon s’imposaient pour repousser à la fois les deux erreurs opposées du nestorianisme et du monophysisme réel. En s’entêtant à repousser ces formules, les monophysites sévériens ont fait acte de schisme, ont été légitimement considérés comme hérétiques, ont favorisé l’eutychianisme sous ses multiples formes et ont bientôt eux-mêmes donné naissance à une foule de sectes, dont quelques-unes étaient franchement hétérodoxes. De ces sectes nous dirons un mot tout à l’heure. Demandons-nous maintenant si les théologiens dont nous venons de parler ont fait école, et si leur monophysisme verbal s’est perpétué dans les groupes ecclésiastiques issus de leur schisme.

III. Le monophysisme sévérien et les Églises monophysites. — Les groupes ecclésiastiques issus de la rébellion contre le concile de Chalcédoine : Église copte et abyssine dissidente, Église syrienne jacobite, Église arménienne grégorienne, sont généralement regardés comme attachés encore de nos jours à l’erreur d’Eutychès, au monophysisme réel. Cette manière de voir répond-elle à la vérité ? N’est-ce pas plutôt le monophysisme sévérien, le monophysisme verbal, qui s’est perpétué dans ces Églises ? La question vaut la peine d’être examinée de près. L’eutychianisme est, en lui-même, une erreur si bizarre, si irrationnelle qu’on a peine à croire a priori qu’il ait pu avoir d’autres adeptes que quelques rêveurs ignorants. Dans le fait, voici la conclusion à laquelle nos recherches ont abouti : Les Églises monophysites ou jacobites ont toujours enseigné comme doctrine officielle le monophysisme verbal ou sévérianisme, bien que, de temps à autre, de véritables eutychiens aient apparu dans leur sein sans réussir à imposer leur erreur.

Témoignages des érudits.

Nous ne sommes pas

le premier à parler de la sorte. Tous les auteurs qui, dans les siècles passés ou de nos jours, ont étudié d’un peu près la symbolique et la dogmatique de ces Églises, ont reconnu qu’elles n’enseignaient pas l’eutychianisme, et les ont trouvées orthodoxes, ou à peu près, sur le mystère de l’incarnation.

1. Parmi les savants qui ont eu de ces Églises une connaissance plus approfondie brille Husèbe Renaudol. Or voici quelques-unes de ses déclarations sur les Coptes monophysites et les Syriens jacobites : Dans sa Dissertatio de Coptitarum Alexandrinorum liturgiis, il écrit

Possent quidem verba ista liturgin : copticæ sancti Basilii : Accepit carnem ex sanela Domina nostra Deipara et semper virgine Maria, et fecil eam unam cum divinitate sua non per mistionem, confusionern aut alterationeni, /ai knoii, aev aUTr, v |j.c’av t-Lv r » j Oîot^te aù~oû (j.t, iv u.f$Cl, n.rfii i y*ty)t. ij.rfi ; Jv àz/ouoT’:. ad orthodoxam sententiam explicari : unde si quis in Jacobitnrum libris minus exer.ii. il us est, de conjectura nostra dubitabit, adeo pervasit omnium prope Iheolannrum animos sinistra de Jacobitis fama, quasi entuchianam htcrcsim conservent, aut Eutychen venerentur. At Istum condemnant, et anathciiia in eiiin pronunciant, ejusque ha ?resim ut Apollinaristarum errorl proxlmam dctestnntur. Eaproptcr mistioneni, confusionern et alterationeni rejtclunt, ldquc non modo in multis.