Aller au contenu

Page:Alfred Vacant - Dictionnaire de théologie catholique, 1908, Tome 10.2.djvu/516

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée
2325
2326
MONSABRE


gieuse canaliseraient^leur zèle de manière à produire une grande œuvre pleine de raison.

L’auditoire du P. Monsabré à Notre-Dame n’était plus celui de Lacordaire et du P. Hyacinthe. Lacordaire avait eu à toucher des incrédules ou des non-pratiquants. Son apologétique lui venait du cœur. Le prédécesseur immédiat du P. Monsabré, Hyacinthe Loyson avait ému lui aussi. Mais maintenant le P. Monsabré réunissait une foule qui, pour être également nombreuse, était autrement composée. Des catholiques éprouvés, d’esprit sérieux et positif, venaient à lui, désireux de s’instruire davantage de leur religion. Ils voulaient la paix et la sécurité de sermons doctrinaux. Il leur fallait une sorte de haut catéchisme de persévérance. Le P. Monsabré comprit à merveille. Il traita de tels sujets que lui, si spontané, parut parfois manquer de spontanéité à force de raison. A la différence du P. Lacordaire ou du P. Hyacinthe, il estdansl’histoire de la chaire de Notre-Dame non pas le prédicateur du sentiment religieux, mais celui du dogme catholique.

L’époque n’était plus où l’on pouvait aborder la chaire de Notre-Dame avec un cœur d’apôtre, des dons d’avocat et une instruction classique. Lacordaire transformait tout par son génie, mais un peu partout trop de ses imitateurs dominicains n’avaient été que médiocrement romantiques. Maintenant le P. Monsabré comprenait, comme d’ailleurs ses confrères, qu’il fallait renoncer à copier servilement Lacordaire, mais qu’il devait prêcher selon les formules classiques de Bossuet ou deBourdaloue, en trouvant le secret de mettre dans cet art classique français une doctrine puissante, la leur, celle de saint Thomas d’Aquin, à laquelle les autorités romaines demandaient sans cesse plus de fidélité.

Ce n’est donc point pour avoir le loisir de s’abstraire dans une métaphysique dédaigneuse de l’auditoire que le P. Monsabré se consacra à une prédication dogmatique. Il estimait seulement que l’intelligence doit être touchée avant le cœur pour que le sermon soit humainement raisonnable. Il tenait à rester en contact intime avec les auditeurs, comme aussi en relations avec l’opinion de son pays, où les conférences de Notre-Dame doivent avoir un retentissement toujours renouvelé. C’est pourquoi, sans nulle curiosité malsaine, sans nulle vanité, mais par besoin de s’instruire de la portée de sa parole, il s’était abonné à l’Argus de la presse, en sorte qu’il possédait lorsqu’il mourut trente gros albums où étaient insérés les jugements parfois étranges qui avaient été formulés sur son compte. Ces jugements qui réveillaient en lui l’humoriste, intéressaient plus encore le théologien qu’il était avant tout.

Le P. Monsabré n’avait que quarante-cinq ans au début de 1873. Il était à cette date assuré d’avoir à sa pleine disposition la chaire de Notre-Dame. Il avait du temps devant lui. Il pouvait commencer, en liaison étroite avec ses auditeurs et avec toute l’opinion catholique, cette grande entreprise : mettre en un français oratoire tout ce qui peut être prêché dans la théologie dogmatique de Saint Thomas et en faire l’exposé didactique, complet, méthodique.

IL L’exposition du dogme catholique. — 1° Caractéristiques générales. — L’apologétique de Monsabré n’a rien a voir avec les méthodes newmamennes, même lacordairiennes. Il ne vise pas, en une ambition hardie, à atteindre, par de la les fidèles catholiques, les mécréants. Il ne cherche pas avant tout à convertir les incrédules en partant du terrain de leur incrédulité. Son apologétique n’est ni une épistémologie, ni une critique. C’est la théologie elle-même, tout simplement, se montrant, s’exposant et faisant voirson bien-fondé. L’auditoire du P. Monsabré était fait en général de

vrais chrétiens. A quoi bon batailler contre des^adversaires absents. Si tel d’entre eux se glisse dans son auditoire, le Père Monsabré compte l’élever, le convaincre comme les chrétiens, rien que par l’exposition du dogme catholique. C’est d’ailleurs le titre qu’il donne à ses conférences de carême : L’exposition du dogme catholique.

Faire un simple exposé de saint Thomas ce n’est pas, obligatoirement, faire un exposé vulgaire. Le P. Monsabré tenait à couler la pensée thomiste en phrases pures et bien balancées. Lorsque nous le lisons, il est des moments ou la solennité nous en paraît un peu banale ou quelque peu compassée. Mais il faut remettre toutes choses en leur temps et lieu. Le ton de l’orateur de Notre-Dame de Paris, parlant ex cathedra des plus graves problèmes humains, n’a pas à être le ton de la conversation, même de la conversation de catéchiste à catéchisé. Et puis, aux alentours de 1870 ou de 1880, les conventions qui déterminaient la correction du style étaient singulièrement plus rigides qu’elles ne sont devenues depuis. D’ailleurs la phrase du P. Monsabré, à défaut des suprêmes délicatesses de l’art, a toujours le mérite de dire clairement des choses en elles-mêmes abstruses.

Si le P. Monsabré dans son exposition du dogme réussit ainsi à éviter la complication, c’est qu’il se borne à faire un étalage extérieur d’autorités patris » tiques et théologiques. Même en cet étalage qui a pour but de rappeler qu’il parle au nom de l’Église du Christ, le conférencier de Notre-Dame savait garder la mesure. A plus forte raison n’essayait-il pas de creuser les problèmes les plus ardus par des confrontations de commentateurs obscurs. Il ne se fût pas fait comprendre de son auditoire et il eût compliqué beaucoup la tâche de la préparation de ses conférences. Il était directement son commentateur de saint Thomas. Il en possédait préalablement très bien la doctrine. Il lui suffisait de relire quelques textes pertinents du docteur, et il pouvait se donner tout entier à sa tâche de rédaction, tâche de clarté et de solidité.

Sans avoir la prétention de faire avancer la science sacrée, le P. Monsabré avait pourtant le désir d’utiliser, au profit de son large public, les raisonnements sérieux de la scolastique. Obligé d’éviter tous ceux de ces raisonnements qui faisaient intervenir des idées complexes, il se rejetait pour rajeunir sa logique, sur les preuves par convergence. Il aimait à multipliei les petites preuves destinées à former par leur réunion une preuve d’ensemble ou une convenance raisonnable. Par suite, son Exposition du dogme catholique se trouve ressembler beaucoup plus aux chapitres de la l Somme contre les Gentils qu’aux articles de la Somme théologique. La verve du P. Monsabré lui fait mêler sans cesse aux preuves et convenances du thomisme ses considérations personnelles. Enrichissant ainsi la lettre de saint Thomas qu’il dépouille par ailleurs de ses trop grandes subtilités, il aboutit à un texte qui est une mine inépuisable de développements nouveaux pour les prédicateurs à venir.

2° Analyse. — L’exposition du dogme catholique a paru en dix-huit volumes, très répandus et que l’auteur avait préparés avec son exactitude coutumière. Selon lui, que les hommes « reviennent résolument aux fortes doctrines, inévitablement notre temps reviendra aux fortes mœurs et aux fortes institutions. » Sa forte et opportune doctrine, il proclame que c’est celle de saint Thomas. « J’ai entendu dire à des hommes distingués par leur esprit et leur savoir, que rien ne leur paraissait plus neuf, plus original, plus conforme au sens commun, plus en harmonie avec les nobles aspirations de l’intelligence chrétienne que l’enseignement de saint Thomas.