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Page:Alfred Vacant - Dictionnaire de théologie catholique, 1908, Tome 10.2.djvu/533

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MONTANISME


terrompue. Ce qui la caractérisait avant tout, c’était la place qu’elle donnait aux prophètes, et aussi l’insistance avec laquelle elle annonçait l’imminence de la

parousie. Ces deux [joints c’étaient certes pas étrangers aux docteurs catholiques. L’Église avait toujours attendu la venue du Christ, connue elle avait toujours eu des prophètes, lorsque Montan commença à prêcher. Mais Montan exagérait ; il dépassait les bornes ; et c’est pour cela qu’il devint hérétique.

En ce qui regarde la prophétie, d’abord : un oracle attribué à.Montan par saint Epiphane, Hæres., xlviii, t. déclarait : Voici, l’homme est comme une lyre, et moi je vole sur lui, comme un plectre. L’homme dort et moi je veille. Voici que c’est le Seigneur qui jette hors de lui le cœur des hommes, pour donner aux hommes un autre coeur. » C’était dire nettement que le prophète montaniste perd sa propre personnalité, qu’il est un instrument passif qui s’exprime et agit sous l’influence exclusive de Dieu, en qui Dieu parle lui-même, au point que Montan pouvait encore affirmer, selon saint Épiphane, Dœres., xi.vm, 11 : « Je ne suis ni un ange, ni un envoyé : c’est moi le Seigneur, Dieu le Père, qui est venu » ; et encore : « C’est moi le Seigneur Dieu tout-puissant qui réside dans l’homme. > Cf. Didyme, De Triait., 111, xli, 1, P. G., t. xxxix, col. 984 ; et la AiâXeÇiç MovravicToù xal ôp6086^ou publiée par G. Ficker, dans la Zeitschrijt jùr Kirchengeschichte, 1905, t. xxvi, p. 452, 1.13.

De là, deux conséquences assez graves. La première c’est que le véritable prophète est un extatique ; et cette idée était contraire à la notion catholique de la prophétie, telle que l’avait formulée saint Paul, ICor., xiv. Cf. A. von Harnack, Mission uiul Ausbreilung des Clirislentums in den erslen drei Jahrhunderlen, 4e édit., Leipzig, 1924, p. 362-364. Le prophète, qui tient une si grande place dans la primitive Église, reçoit sans doute de Dieu le charisme prophétique, mais il garde conscience de lui-même, tout au moins d’une manière habituelle ; et Miltiade opposait aux Phrygiens une doctrine traditionnelle, lorsqu’il écrivait qu’un prophète ne doit pas parler en extase. Eusèbe, II. E., V, xvii. D’autre part, la théorie montaniste amenait nécessairement ses adhérents à donner aux prophètes une autorité supérieure à celle des évoques. La hiérarchie gardait le dépôt traditionnel et se rattachait au Seigneur par une succession ininterrompue : les montanistes prétendaient bien continuer la tradition prophétique, Eusèbe, H. E., V, xvii, 1, et n’avaient de la sorte aucune raison pour obéir aux évêques, dont l’autorité et le rôle apparaissaient bien mesquins auprès de ceux des interprètes de Dieu.

De même, l’insistance avec laquelle Montan annonçait la venue de la Jérusalem céleste avait de quoi inquiéter l’Église. Certes, depuis l’ascension du Sauveur, les regards des chrétiens restaient toujours orientés vers le ciel, dans l’espoir de la parousie ; mais l’Eglise avait été organisée pour accomplir dans l’ordre et dans la paix son pèlerinage terrestre. Montan troublait sa vie régulière et disciplinée, en entraînant les foules à sa suite dans la plaine de l’épuze, et voilà ce qu’on ne pouvait admettre à aucun prix. Il n’était pas le seul, sans doute, à en juger par les deux anecdotes si étranges que rapporte saint Hippolyte dans son commentaire Sur Daniel, iii, 18, édit. Konwctsch, Leipzig, 1897, p. 23(1. et des évêques eux -mêmes, en Syrie, dans le l’ont, étaient parfois assez imprudents pour entraîner leurs ouailles a la rencontre du Christ. Mais, plus que n’Importe qui, il surexcitait dangereusement les esprits : les autorités régulières de l’Église hiérarchique devaient (’opposer à ses initiatives.

D’ailleurs la prédication de Montan comportait « les conséquences morales qui n’étaient pas sans dan ger. Celle qui parut d’abord fut la place donnée aux femmes dans la prédication. On voyait Montan se faire accompagner de deux prophétesses, Maximilla et l’riscilla. On entendait ces femmes prononcer des oracles, enseigner aux multitudes la nouvelle prophétie. Rien n’était plus contraire à la tradition, dont saint Paul avait posé le principe, en ordonnant aux femmes de se taire dans les assemblées. 1 Cor., xiv. 33. Si irréprochables qu’eussent été dans leur vie privée les compagnes de Montan. cf. Tcrtullien, Adv. Marc., v, 7. les polémistes catholiques ne pouvaient pas s’empêcher de condamner un tel abus.

En même temps, l’exaltation produite par l’attente anxieuse de la parousie devait pousser les disciples de Montan à un ascétisme exagéré. Nous sommes mal renseignés sur cette ascèse des premiers montanistes. Nous devons à Tcrtullien presque tout ce que nous savons de la morale montaniste, et nous avons de bonnes raisons pour croire que le prêtre de Carthage a encore exagéré les prescriptions de la secte. Les données de saint Epiphane lui-même semblent se rapporter à une époque postérieure. Du moins est-il assuré que la vie régulière se trouvait interrompue, du jour OÙ les auditeurs de Montan étaient saisis par l’enthousiasme et se mettaient à la suite du prophète pour chercher la nouvelle Jérusalem.

On ne saurait douter que la prédication de Montan et de ses auxiliaires. Priscilla, Maximilla. Thémison, l’auteur d’une lettre catholique. Théodote, le trésorier de la secte, Alexandre, naguère condamné pour escroquerie parle proconsul d’Éphèse, n’eût remporté beaucoup de succès en Phrygie et en Galalie. Elle se répandit avec la vitesse d’un incendie, dans ces pays faciles aux émotions et aux enthousiasmes. Des villes entières comme Thyatire se laissèrent gagnera la nouvelle prophétie. Épiphane. Hures., ii, 33.

L’Occident lui-même s’émut. Dès 177, cinq ou six ans après les débuts de la prédication de Montan. on connaissait à Lyon ses théories étranges, et l’on s’en inquiétait. Il y avait, dans la chrétienté de Lyon, beaucoup d’Asiates et de Phrygiens d’origine : il n’était pas étonnant que l’on s’y intéressât, encore plus qu’ailleurs, à ce qui se passait en ces lointains pays, avec lesquels on était, semble-t-il, en relations suivies de correspondance. Plusieurs lettres furent expédiées de Lyon, relatives à la nouvelle prophétie. Les unes avaient été écrites par les confesseurs, avant qu’ils achevassent leur martyre : elles étaient adressées au pape saint Éleuthère et aux frères d’Asie et de Phrygie : une autre, destinée également à ces Eglises d’Asie et de Phrygie, avait été rédigée après la mort des martyrs, dont elle rappelait le glorieux témoignage. Les unes et les autres, au dire d’Eusèbe, II. L’.. Y, m. 2. exprimaient un jugement pieux et tout à fait orthodoxe, eùXa69j xal ôpOoSoÇoTaTYjv. Malheureusement, l’historien n’a pas cru devoir nous conserver la partie doctrinale de cette correspondance. Il s’est borné à transcrire l’admirable récit de la passion de saint l’othin et de ses compagnons, et nous laisse ignorer le détail de l’opinion que l’on formulait à Lyon sur le montanisme.

Quelques historiens, à la suite de Valois, Sol. in l’useb., P. G., t. xx, col. 137, n. 41, ont cru cependant pouvoir affirmer que l’Église lyonnaise était, dans son

ensemble, favorable à la prophétie phrygienne, et que ses lettres constituaient un plaidoyer. Ils font valoir.

pour défendre leur opinion, d’une part, l’affirmation

d’Eusèbe que lesdites lettres avaient en vue la paix

des Églises ; de l’autre l’enthousiasme joyeux manl

lesté par les confesseurs avant leur mort et les clia

rismes accordés à quelques uns d’entre eux. Ces arguments semblent Insuffisants à la preuve de la thèse,

L’Église de Lyon pouvait adresser des conseils paci-