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Page:Alfred Vacant - Dictionnaire de théologie catholique, 1908, Tome 10.2.djvu/605

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MORT (PEINE DEÏ


il faudra sacrifier une énergie de qualité inférieure au déploiement d’une énergie de qualité supérieure : le devoir exigera par exemple que le bien de la sensibilité soit sacrifié au bien de la raison ou de la volonté.

Sans nous arrêter à la multiplicité si complexe de toutes nos puissances, nous n’avons ici à envisager que leur distinction en deux groupes : les énergies corporelles et les énergies spirituelles. Les unes et les autres ont leur bien, leur fin propre, dont la poursuite est source de devoirs et de droits. Mais les premières sont ordonnées à l’épanouissement de la vie animale : et leur fin est inférieure à la fin des secondes, qui est spécifiquement humaine. Le but de notre vie en effet n’est pas de devenir de gras « pourceaux du troupeau d’Epicure », selon la boutade d’Horace, mais suivant l’expression d’Aristote « de devenir plus hommes ». Or l’homme précisément se distingue de l’animal par ses énergies et ses fins spirituelles.

La primauté appartient donc à la vie de l’âme, au progrès de laquelle concourtle bon état de la vie du corps. Celle-ci revêt dès lors l’aspect d’un moyen par rapport à celle-là. Il en résulte qu’en cas de conflit entre les biens, les fins, les devoirs et les droits, qui ressortissent à la vie corporelle, et ceux qui ressortissent à la vie spirituelle, les premiers céderont le pas aux seconds… et en cas de nécessité leur seront sacrifiés. N’est-il pas des circonstances, où il apparaît clairement que l’homme doit immoler sa vie corporelle à l’honneur, à la vérité, à la vertu ? Nous en concluons, contre certains abolitionnistes, que la vie corporelle n’est pas le bien suprême, la fin en soi, celle qui est inviolable, et par conséquent que le devoir et le droit de la conserver ne priment pas partout et toujours tous les devoirs et tous les droits.

2. Le droit naturel social.

Nul ne contestera non

plus que parfois la vie corporelle doive être sacrifiée au bien de la patrie et de l’humanité, en un mot au bien général de la société.

C’est que, par nature, l’homme est un « animal social ». Il ne peut naître, vivre et se développer sans la famille, cellule mère de toute société. Dès lors les droits de la société ressortissent au droit naturel. Comment les déterminer ? — Par l’étude de la fin, que, vu la constitution humaine, la société, ou l’autorité qui la représente, a mission de poursuivre. Or cette fin est le bien général. L’atteindre pour elle est le devoir primordial, d’où naissent tous ses autres devoirs.

Ce devoir est double : il est positif et négatif. D’une part, l’autorité sociale a le devoir de créer une atmosphère de paix et d’ordre, qui facilite à l’ensemble des citoyens la conquête de leur fin personnelle ; d’autre part elle a le devoir d’empêcher tout ce qui, troublant la paix et l’ordre, nuit par là-même à l’ensemble des citoyens.

Et, comme le droit est le corollaire obligé du devoir, la société a le droit de requérir de chacun de ses membres ce qui est nécessaire à l’accomplissement de son double devoir. C’est ainsi qu’elle exigera d’eux L’impôt, la coopération personnelle et, dans les circonstances critiques, le sacrifice de leurs biens et même de leur vie pour le salut de la patrie, c’est-à-dire pour le bien général. De même, si l’ordre a été violé, elle a le devoir, et partant le droit, de le rétablir et de le sauvegarder en vue du bien général, dût-elle pour cela recourir aux sanctions.

La justice demande que ces sanctions soient proportionnées aux délits. Mais il est apparu à la conscience publique que certains crimes tels que les assas sinals, les parricides, les trahisons, etc…, sont à ce point abominables et nuisibles à la société qu’aucune peine ne leur semble proportionnée : rien que la mort ne peut punir de pareils forfaits. La peine capitale

apparaît alors la seule réparation que l’on puisse imposer au criminel.

Cette réparation devient nécessaire, si elle est l’unique moyen de réprimer les efîets du scandale donné, en inspirant aux malfaiteurs en herbe la crainte salutaire, qui est le commencement de la sagesse. A ce prix seront guéries les blessures que les crimes ont faites à l’ordre social, au point de le tuer, s’ils se multipliaient.

— Puis donc que la première mission de l’autorité est de protéger les bons citoyens, son devoir de légitime défense ne doit pas s’étendre seulement au passé ou au présent, mais encore à l’avenir. Or, en pratique, seule la peine capitale est un moyen efficace de protection sociale. Les autres peines, en effet, telles que la prison cellulaire et la détention perpétuelle, n’inspirent pas aux pervers la même terreur que la mort, « ce roi des épouvantements ». D’autant plus que les condamnés caressent toujours l’espoir d’adoucissements, voire d’amnisties ou même d’évasions. La preuve en est dans ce fait que plusieurs pays, tels que les Cantons suisses par exemple, qui par suite de la campagne abolitionniste avaient supprimé la peine de mort, ont dû la rétablir sous la pression des réclamations populaires devant la montée croissante des crimes.

Donc, en attendant que les hommes soient parfaits, l’autorité sociale, en vue de l’accomplissement de son devoir, possède le droit de condamner à mort les criminels. Et ce droit, découlant d’une mission fondée sur l’organisation même de l’homme, est un droit naturel, ou pouvoir concédé à la société par son Auteur souverain. Omnis potestas a Deo.

Au regard du droit positif divin.

La concession

de ce droit est consignée dans les textes sacrés.

Ceux-ci sont clairs et les arguties ou subtilités des abolitionnistes, tels que l’abbé Le Noir, ne réussissent pas à les obscurcir. Ils l’avouent d’ailleurs, puisqu’ils se retranchent derrière la distinction entre l’âge de la dictature de mort contre la mort, et l’âge du Christ, où s’épanouira l’ordre social chrétien ; mais ils sont contraints de reconnaître que « nous continuons d’être, à certains égards sous le règne de Moïse, celui du Christ n’ayant pas encore acquis sa plénitude ».

Citons quelques textes de l’Écriture. A Noé et à ses fils Dieu dit : « De celui, qui aura répandu le sang humain, que le sang soit répandu. » Gen., ix, 6. Dans l’Exode nous lisons, xxi, 12 « Que celui qui aura frappé un homme avec l’intention de le tuer soit puni de mort… », et xxii, 18 « Tu ne souffriras pas que vive la magicienne. » Mêmes prescriptions dans le Lévitique xxiv, 17, etc. On interprète également, comme une affirmation du pouvoir que possède l’autorité sociale, la parole de saint Paul aux Romains, xiii, 4 : « Si tu as fait le mal, crains ; car ce n’est pas sans raison que (le prince) porte le glaive, puisqu’il est le ministre de Dieu exerçant la vengeance contre celui qui fait le mal. « 

Ce droit ne fut jamais contesté flans l’Église, bien qu’elle ait interdit à ses clercs d’intervenir dans les causes capitales. Nous en avons la preuve dans la Profession de foi imposée aux Vaudois par Innocent III. Voir col. 2500. Saint Thomas consigne cet enseignement dans sa Somme théologique, a - æ, q. c, a. 8, ad 3um, où il rappelle que l’autorité humaine a reçu de Dieu le pouvoir de prononcer des condamnations capitales : et IP’-II 1 ", q. i.xiv, a. 2 et 3, où il déclare que la chose est parfois nécessaire. Il y reprend des idées, qu’il avait nettement exprimées déjà dans la Somme contre les Gentils, t. III, C. cxi.vi. Après avoir exposé les sources du droit de punir, il y répond par avance à l’exégèse de certains textes exploités par les abolitionnistes. Nous y lisons en effet : l.cquele bien commun vaut mieux que le bien particulier d’un seul. Par conséquent ce bien particulier