Page:Alfred Vacant - Dictionnaire de théologie catholique, 1908, Tome 10.2.djvu/606

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée
2505
2506
MORT (PEINE DE !


doit être sacrifié à la conservation du bien commun. Si donc la vie de certains malfaiteurs s’oppose au bien commun, qui est l’ordre de la société humaine, ceux-ci pourront être supprimés par la mort. — 2. En outre, comme le médecin dans ses opérations travaille en vue de la santé, qui consiste en un ordre harmonieux établi entre les humeurs, ainsi le chef de l’État en son œuvre travaille en vue de la paix, qui consiste en un ordre harmonieux établi entre les citoyens. Or le médecin coupe à bon droit et utilement le membre gâté si l’infection menace le corps tout entier ; de même le chef de l’État en justice et sans péché met à mort les malfaiteurs, de peur que la paix sociale ne soit troublée. » — Et saint Thomas appuie ses considérations philosophiques sur le droit positif divin, dont il trouve l’expression dans l’Écriture : « Ne savez-vous pas qu’un peu de levain corrompt toute la pâte ? » I Cor., v, 6 ; « Enlevez donc le mal du milieu de vous. » Ibid., 13. D’ailleurs « le pouvoir terrestre ne porte pas le glaive sans raison », Rom., xiii, 4, etc.

Il passe ensuite à la discussion des erreurs de ceux qui invoquent le Non occides de l’Exode, xx, 13, pour combattre le droit de prononcer des sentences capitales. « C’est que, dit-il, dans la loi, où il est écrit : « Tu ne tueras pas », on lit aussi « Tu ne souffriras pas que vivent les malefîc i. » Ex., xxii, 18. D’où il appert sans doute qu’une injuste mise à mort est interdite, ce qui d’ailleurs ressort des paroles du Seigneur. Après avoir dit en effet : « Vous avez appris qu’il a été dit aux anciens : « Tu ne tueras pas », Jésus ajoute : « Mais moi je vous dis : « Quiconque s’emportera contre son frère sera passible de jugement. » Matth., v, 21, 22. Par là il nous donne à entendre qu’une mise à mort par colère est interdite, mais non pas une exécution qui a pour principe le zèle de la justice. »

Les modernes abolitionnistes invoquent le texte de saint Matthieu, xiii, 30, Sinile utraque crescere usque ad messem dans la parabole de l’ivraie, qu’il ne faut pas arracher de crainte de déraciner en même temps le froment. Ils en concluent que la justice humaine ne doit pas procéder à des exécutions capitales. L’observation n’est pas nouvelle, puisque saint Thomas y répond : « En ce texte, il est interdit de mettre à mort les méchants lorsque cela ne se peut faire sans danger pour les bons, ce qui arrive quand il est impossible de découvrir avec certitude les coupables, ou quand leur exécution pourrait entraîner la perte de nombreux innocents. Mais il n’en va pas de même quand ce danger n’existe pas. » Ces considérations de la Somme contre les Gentils nous les retrouvons dans la Somme théologique, I^-II 89, q. lxiv, a. 2, où, à propos du même texte, saint Thomas ajoute qu’il n’y a pas lieu de surseoir à l’exécution des criminels « lorsque cette exécution est pour les bons citoyens une protection et une sauvegarde ». Alors, en effet, « il est des circonstances, où elle est nécessaire pour le salut de l’ordre social. »

Saint Thomas termine en parlant de la correction du coupable, qui en face du dernier supplice doit avoir toute facilité de se convertir. C’est sur ce point qu’insisteront après lui les théologiens. Tel saint Alphonse de Liguori, qui dans sa Théologie morale, t. III, n. 376, après avoir réclamé de l’autorité publique un jugement et une sentence en forme — sauf les cas d’urgence où le crime est évident — déclare qu’il faut laisser au condamné le temps de se réconcilier avec Dieu en lui offrant de se confesser et de communier même en viatique, avant de procéder à son exécution.

En résumé, tant au regard du droit naturel qu’au regard du droit positif divin, l’application de la peine de mort par l’autorité sociale apparaît comme légitime.

III. Les objections.

Pour confirmer cette

conclusion et dissiper les nuages qu’ont amoncelés les partisans de la suppression de la peine de mort, il est utile d’examiner quelques-unes de leurs objections ; ne fût-ce que pour en prévenir le renouveau. Nous les diviserons en deux groupes : celles qui contestent le droit théorique de la société et celles qui nient l’efficacité pratique de la sanction capitale.

Contre le droit théorique.

 /" objection : L’homme

étant une personne est une fin en soi ; il ne peut donc jamais être ramené à la qualité de moyen. Or la peine capitale fait cela, puisqu’elle enlève la vie à un homme, afin d’inspirer de la terreur à d’autres hommes. — Réponse. — La peine capitale ne transforme pas une personne ens sui juris en un moyen. Que fait-elle en effet ? Elle immole une vie corporelle à la justice et au salut de la société. Or, nous l’avons dit plus haut, la fin de la personne humaine est spirituelle et morale, et eu égard à elle la vie du corps joue le rôle de moyen. C’est pourquoi il est permis et parfois même obligatoire de l’immoler à une fin plus haute : l’honneur, la vérité, la vertu. Autrement, il faudrait dire que le dévouement porté jusqu’au martyre est une œuvre immorale. Il faudrait dire également qu’en cas de péril public, la patrie n’a pas le droit de demander à ses enfants de s’exposer à la mort pour sa défense. Mais, si l’autorité sociale peut requérir des citoyens le sacrifice de leur vie, elle peut à plus forte raison imposer ce sacrifice aux coupables comme moyen de réparation, d’expiation et de protection sociale, lorsque la chose est nécessaire à l’accomplissement de sa mission.

2e objection : Le droit à la vie est un droit naturel, donc l’individu ne peut le perdre par aucun forfait. — Réponse. — L’homme étant par nature un « animal social », la société elle aussi est de droit naturel et son droit à la vie sociale participe à la même dignité. Les deux droits en conflits sont dans le même plan. Mais celui de la société, ayant pour source le devoir de sauvegarder le bien général, l’emporte en excellence et en étendue sur l’autre qui n’intéresse que le bien particulier d’un individu, déchu d’ailleurs de ses droits autant que faire se peut, par suite de son crime. Cf. Cont. Gent., t. III, c. cxlvi. Si donc, pour accomplir son devoir social, l’autorité publique a besoin nécessairement d’appliquer la peine de mort, à son droit doit céder le droit du coupable qui s’est par son forfait ravalé au rang des brutes, esclaves de leurs mauvais instincts. Cf. Sum. theol., a -^, q. lxiv, a. 3.

3° objection : Tuer un homme est un acte mauvais. Si la société le peut sous prétexte qu’un individu a commis un crime, il faudra conclure que l’on peut faire le mal, parce qu’un autre l’a fait. — Réponse. — Tuer un homme pour le plaisir de le tuer, donc sans juste raison, c’est évidemment poser un acte intrinsèquement mauvais. Mais le tuer à contre-cœur, faute de pouvoir efficacement se protéger contre ses attaques, c’est autre chose. Nul ne conteste le droit de légitime défense de l’individu assailli par un brigand, ni celui des citoyens aux prises avec les ennemis de la patrie pendant la guerre. Nul ne pourra de même contester ce droit à la société, tant que l’on n’aura pas trouvé une autre garantie contre le renouvellement des crimes qui terrorisent ses membres.

4’objection : Les droits de l’autorité civile ne sont que la résultante des droits des citoyens, qui les leur délèguent. Or nul n’a droit de vie et de mort à l’égard de soi-même. Donc les citoyens n’ont pu déléguer ce droit à l’autorité civile. — Réponse. — Cet argument s’appuie sur l’hypothèse du Contrat social et s’effondre avec elle. Car il est faux que l’autorité du chef ait sa source dans la délégation des sujets. Omnis potestas a Deo. La société est de droit naturel puis-