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Page:Alfred Vacant - Dictionnaire de théologie catholique, 1908, Tome 10.2.djvu/640

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MUTILATION


quences d’un refus. Mais si on lui oppose ce refus, il n’a pas à passer outre. Les moralistes, en effet, se posent la question de savoir si, pour conserver la vie ou la santé, un malade est obligé, en conscience, d’accepter une opération ou une mutilation jugée nécessaire par le chirurgien. S’il s’agit d’une opération ou d’une mutilation moindre, les moralistes considèrent la réponse affirmative comme certaine. S’il s’agit d’une mutilation grave, d’une opération chirurgicale considérable ou dangereuse, personne, disent-ils, n’est tenu en conscience de s’y prêter, même si sa vie ne peut être sauvée autrement. La raison en est que nous sommes tenus de conserver notre vie et notre santé par des moyens ordinaires et non par des moyens extraordinaires, car l’obligation de tendre à la fin (conservation de la vie et de la santé) ne comporte, en soi, que l’emploi des moyens ordinaires et normaux qui conduisent à cette fin : ne pas employer ces moyens ordinaires et normaux équivaudrait à se suicider. Mais ne pas employer les moyens extraordinaires, c’est simplement permettre la mort ; ce qui, en certains cas, est permis. Cf. Noldin-Schmitt, De præceptis Dei et Ecclesiæ, Inspruck, 1924, n. 325. De plus, les moralistes font observer que, même dans les conditions actuelles de la chirurgie, où les amputations et les opérations les plus graves se font, grâce aux anesthésiants, presque sans douleur et souvent sans danger, il n’y a pas encore, pour le malade, une obligation stricte de s’y soumettre, s’il y répugne considérablement pour des raisons de convenances ou de sentiments personnels. Une telle répugnance, en effet, engendre une difficulté nouvelle et extraordinaire, dont il convient de tenir compte. C’est le cas de la jeune fille vierge qui répugne absolument au contact de la main du chirurgien. Telle est l’opinion encore professée par Lehmkuhl, Theologia moralis, t. i, n. 730 ; de Genicot-Salsmans, Instiluliones theologiee moralis, t. i, n. 364 ; de Noldin-Schmitt, op. cit., n. 325, tous s’appuyant sur saint Alphonse, Theologia moralis, 1. 111, t. iv, c. i, n. 372, où l’on trouve d’autres références. Cf. édit. Gaudé, t. i, p. 628. Ce cas paraît bien chimérique à notre époque, puisque grâce aux progrès de la chirurgie, la vierge ignorera le contact appréhendé ; et saint Alphonse déjà semble ne l’admettre qu’à regret, puisqu’il entrevoit aussitôt, pour la jeune malade, la possibilité de tourner la difficulté en se confiant aux soins d’une femme. Les auteurs contemporains disent plus simplement : « Il serait beaucoup mieux de déposer cette crainte vaine et exagérée et de consentir à l’opération. » Génicot-Salsmans, loc. cit. Un seul motif paraît vraiment de nature à provoquer licitement l’hésitation et le refus du patient, c’est l’incertitude où fort souvent il se trouvera, touchant la restitution de la santé après une mutilation ou une opération grave. Toutefois, aucun motif valable de refus n’existe plus relativement à l’opération ou à la mutilation qui doit conserver une existence nécessaire à une famille ou à un pays, quand le succès de l’intervention chirurgicale est moralement certain. Noldin-Schmitt, loc. cit.

Est-il besoin d’ajouter qu’au cas où l’intervention peut entraîner une issue fatale, le chirurgien a l’obligation grave d’en avertir ou d’en faire avertir le patient ?

2. Il est bien difficilede justifier la mutilation comme pénalité. L’Inquisition elle-même la réprouvait, Cf. J. Guiraud, L’Inquisition médiivale, Paris, 1928, p. 108. Sans doute, saint Thomas déclare que « de même que certains crimes appellent la sentence capitale, ainsi certaines fautes moindres peuvent être punies par la mutilation d’un membre. » IIa-IIæ, q. lxv, a 1. La légitimité de la peine de mort se conçoit lorsque la mort est l’unique moyen dont dispose l’autorité

suprême pour empêcher les criminels de nuire au bien commun. Cf. S. Thomas, IF-II 39, q. rxiv, a. 2. Voir Mort (Peine de). Mais, pour détourner les pécheurs de fautes moindres, il n’est pas prouvé que la mutilation soit le seul moyen efficace. Saint Thomas ne formule son raisonnement qu’en vue de justifier la loi du talion, inscrite au Deutéronome. Mais il aurait pu faire observer que les mutilations prévues au Deutéronome ne s’attaquent à aucun organe essentiel à la génération — la mutilation de ceux-ci étant positivement exclue — et laissent même au mutilé la possibilité physique de pourvoir à sa subsistance. De plus, il n’y a aucune parité à établir entre la peine de mort et la peine du talion. La première supprime radicalement le mal dans la société ; la seconde, par son inhumanité même, est bien capable d’exciter, chez le coupable à qui elle laisse la vie et les moyens de nuire, des haines nouvelles et de nouveaux désirs de vengeance. Enfin, même s’il fallait concéder le principe d’une peine légitime infligée aux coupables parla mutilation, selon le texte invoqué par saint Thomas dans l’argument Sed contra, Ex., xxi, 24, il conviendrait encore de reconnaître qu’en fait « cette pénalité n’était pas toujours équitable, malgré ses apparences de justice. Celui qui avait agi par malice délibérée méritait une peine plus grave que celle qu’il avait infligée. Parfois aussi sa culpabilité était atténuée par diverses circonstances, et il ne méritait pas une peine égale au mal qu’il avait causé. C’est ce qui fait que la peine du talion disparut peu à peu, à mesure que les législations se perfectionnèrent ». H. Lesêtre, art. cité, col. 1975. Son unique raison d’exister avait été précisément l’absence d’une forte autorité publique réprimant le crime dans les sociétés primitives : il avait fallu contenir la vengeance privée dans les bornes de la réciprocité et de l’égalité des dommages. Dans nos sociétés contemporaines, le talion ne se justifierait d’aucune façon : il y aura toujours d’autres moyens de punir le coupable et de l’empêcher, même efficacement, de nuire à nouveau.

3. Si la société nous paraît, dans les circonstances normales, dénuée de l’autorité nécessaire pour appliquer à certains coupables des peines de mutilation, à plus forte raison est-elle destituée de tout pouvoir pour chercher, dans la mutilation des organes de la génération, un moyen de progrès social ou même de simple préservation contre les dégénérescences possibles. Voir, sur ce point spécial, les applications particulières, col. 2575.

A plus forte raison encore, les mutilations et opérations graves ne sauraient être autorisées par la société en vue de favoriser par des expériences les progrès scientifique : « Singulière science, en vérité, qui donnerait au médecin le droit de porter la maladie ou la mort là où il devrait conserver la vie et ramener la santé ; étrange humanité qui sacrifierait ou mutilerait les uns au profit ( ?) des autres ; en réalité, essais criminels, dignes du nom de barbarie quand ils sont pratiqués sur des enfants, sur des malades d’hôpital, ou par surprise, par exemple, pendant le sommeil anesthétique, en un mot, sur des sujets sans défense… On a cherché à excuser ces actes lorsqu’ils sont pratiqués sur des sujets irrémédiablement condamnés, mais à quel titre s’arroge-t-on le droit de leur infliger de nouvelles souffrances et d’abréger leurs derniers instants ?… Cependant, si le sujet consentait à ces expériences, ne deviendraient-elles pas légitimes ? Oui, si l’on admet qu’un tel consentement est permis ; mais le commandement de la loi naturelle : Tu ne tueras pas, s’adresse en premier lieu à nous-mêmes. En d’autres termes, l’homme n’a pas un pouvoir discrétionnaire sur sa vie ni sur sa santé ; il ne peut ni se permettre ni autoriser aucun acte de nature à