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MYSTIQUE, DESCRIPTION DES PHÉNOMÈNES


vie religieuse, juive et chrétienne, décrite par XXX dans Qu’est-ce que la mystique ? (Cahiers de la nouvelle journée, 3, Paris, 1925) produit en ceux qui s’y livrent de toute leur âme des émotions parfois très intenses ; elle se traduit par des « élans d’amour et de confiance », comme en présentent certains psaumes, p. 90-91 ; l’âme religieuse entretient avec Dieu un commerce d’amitié, d’amour, qui lui procure des émotions enivrantes ; « c’est sous la forme d’un chant nuptial que l’âme juive exhale son désir de Dieu et l’ivresse de sa possession. Iao n’est pas seulement le Père ; il est l’époux sacré, le Bien-Aimé, celui qui prend le cœur et l’inonde de sa délicieuse présence… Quelle religion osa jamais instituer entre l’homme et Dieu une telle intimité ?… Cette nouvelle ivresse n’est plus la défaillance devant l’Infini, mais le ravissement dans l’amour et voilà résumée d’un mot la mystique judéo-chrétienne. > P. 91. La preuve qu’il y a ici une équivoque, c’est que l’auteur fait de cette mystique « l’essence de la religion % p. 106, et qu’il distingue dans la vie religieuse ou mystique des degrés, entre lesquels il n’y a pas vraiment de continuité : « dans tout cela rien encore n’est changé au cours normal de la pensée et de la vie organique ; mais l’esprit et le corps entreront en des états nouveaux, si l’ardeur s’accroît. » P. 104. Ce sont ces états nouveaux, mystiques au sens strict du mot, qui forment l’objet de notre étude. L’expérience religieuse ne devient mystique que si elle est ressentie comme venant de Dieu. Cf. Revue d’ascétique et de mystique, octobre 1 922, p. 445-448, à propos des ouvrages de dom Louismct, O. S. B.

A plus forte raison n’entre pas dans le cadre de cette étude ce que l’on nomme « le mysticisme spéculatif », c’est-à-dire des théosophies dans le genre de celles d’Eckart ou de Bœhme, bien que la connaissance en puisse être nécessaire pour comprendre les textes où certains mystiques ont raconté leurs expériences ou proposé leurs méthodes pour parvenir à l’union divine. Le mysticisme spéculatif émane d’ « intuitions » de vérités sur les choses, mais non de l’expérience, de l’intuition de la Réalité. Cf. H. Delacroix, Essai sur le mysticisme spéculatif en Allemagne au quatorzième siècle, Paris, 1900 ; V. Delbos, Le mysticisme allemand, dans Qu’est-ce que la mystique ? (Cahiers de la nouvelle journée, 3).

Sainte Thérèse paraît avoir de la « théologie mystique » une idée qui se rapproche de celle que nous venons d’exposer. « Pendant que je me tenais en esprit auprès de Jésus-Christ de la manière indiquée plus haut, ou bien au milieu d’une lecture, j’étais saisie soudain d’un vif sentiment de la présence de Dieu. Je ne pouvais alors aucunement douter qu’il ne fût en moi ou que je ne fusse moi-même tout abîmée en lui. Ce n’est pas là une vision ; c’est ce qu’on appelle, je crois, théologie mijf tique. » Vie écrite par elle-même, c. x. On trouvera dans La métaphysique des saints de M. H. Bremond, t. i, p. 275-278, un intéressant parallèle du P. Paul de Lagny entre la « théologie mystique » et la « vie mystique », celle-ci n’étant pas autre chose que la vie de Dieu en nous, la grâce sanctifiante ; pourquoi faut-il, qu’un même terme désigne des réalités si différentes ?

II. DE LA MÉTHODE A SUIVRE DANS L’ÉTUDE PSYCHOLO Gl Q UE DE LA MYSTIQ UE. — Le psychologue,

en tant que tel, observe, décrit les faits mystiques, sans en donner d’explication. Il est bien évident que l’étude philosophique, et même théologique, de la mystique doit débuter par l’étude psychologique.

La tâche est délicate, mais, conduite selon une bonne méthode, elle n’est pas impossible. Cf. Maréchal, Études sur la psychologie des mystiques, t. i, p. 34-38, 65-60. En psychologie expérimentale, comme en médecine, l’observation doit « aboutir à la rédaction

d’une fiche », Pinard de la Boullaye, L’étude comparée des religions, t. ii, p. 314. L’observateur devra noter soigneusement, pour chaque cas particulier, toutes les circonstances au milieu desquelles le fait s’est produit ; mais surtout il essaiera de se rendre compte exactement de ce qui s’est passé dans le sujet de l’ « expérience mystique ». Il en est du fait mystique comme du miracle : la difficulté principale réside bien moins dans l’appréciation du fait supposé connu que dans la connaissance du fait lui-même ; que s’est-il vraiment passé ? Qu’est-ce que le sujet a véritablement éprouvé ?

Insistons sur ce dernier point que les psychologues contemporains ont bien mis en lumière. Il faut atteindre dans le mystique « les données immédiates de la conscience » à travers les interprétations qui les traduisent, les métaphores qui les recouvrent, les inférences qui les expliquent. Cf. Maréchal, op. cit., p. 38 ; Delacroix, Éludes d’histoire et de psychologie du mysticisme, c. xi, Expérience, système et tradition ; Leuba, La psychologie des phénomènes religieux, c. xi, Théologie et psychologie, notamment n. La connaissance religieuse comme immédiatement donnée dans des expériences spécifiques, p. 280-291.

/II. DESCRIPTIONS DES PHÉNOMÈNES MYSTIQUES.

— Nous l’emprunterons, pour faire court, à quelques auteurs anciens particulièrement célèbres en cet ordre de choses : Clément d’Alexandrie, saint Augustin, Denys le Mystique, Richard de SaintVictor, saint Jean de la Croix, sainte Thérèse et saint François de Sales.

Clément d’Alexandrie.

S’il faut en croire

Mœhler, De l’unité de V Église, trad. Bernard, Bruxelles, 1839, p. 120, Clément aurait considéré la foi elle-même comme une faculté mystique : « Avant tout, il éconduit ceux qui regardent la foi comme simplement vraie ; il la définit plutôt comme un saisissement de l’esprit, comme une contemplation par la grâce, comme une conscience immédiate, un assentiment de nos dispositions intérieures de piété à ce que nous est enseigné, une réunion avec les choses transcendantes, l’existence en nous de ce que nous avons espéré, une sagesse agissant par elle-même. » A l’appui de cette interprétation, Mœhler cite, p. 10-11, le Pédagogue, t. I, c. vi : « Nous autres qui sommes baptisés, après avoir, à l’aide de l’Esprit divin, écarté comme un nuage les péchés qui obscurcissent, nous possédons un œil divin, qui voit librement, clairement et sans obstacle. Avec cet œil seul nous contemplons la divinité, en ce que l’Esprit divin y pénétre d’en haut : c’est ainsi qu’est constitué éternellement l’œil qui peut voir la lumière divine. » P. G., t. viii, col. 284 :

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àïSiov, tô aî’Siov cpwç ÎSeÏV

SovafAEvrjç.

ita etiam qui tingimur,

abstersis peccatis, qua ;

divino Spiritui quodam modo tenebras offunde bant, liberum, ab omni que impedimento vacuum

et lucidum habemus spi ritus oculum : quo qui dem solo quod divinum

est intuemur, cœlitus in fluente nobis Sancto Spi

ritu. Hœc est a ?terna aciei

temperatura, quæ videre

potest aiternam lucem.

Le baptême, en effet, n’est-il pas appelé l’illuminalio per quam sanctam illam et salularem lucem intuemur, hoc est per quam Deum perspicimus, cpoma(J.a Se, Si’o& t6 ayiov èxeïvo cptôç tô acoTTjpiov S7ro7rT£ÛETai, toutscttiv Si’ou tô 6eîov ÔÇucotcoûu.£v ? Ibid., col. 281.