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Page:Alfred Vacant - Dictionnaire de théologie catholique, 1908, Tome 10.2.djvu/681

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MYSTIQUE, EXPLICATIONS PSYCHOLOGIQUES


besoin d’analyser très avant la nature humaine, pour y trouver chez les grandes âmes une générosité, pourrait-on dire, qui, sollicitée par le travail, donne infiniment plus que le travail ne pouvait produire, en mouvements subits et inattendus, et qui, bouleversant de ses apports et de ses ravages la conscience ordinaire, apparaît à l’homme comme une surnature et prend le nom qu’il donne à ses dieux. » P. 406. « Nous croyons que les états les plus sublimes du mysticisme n’excèdent point la puissance de la nature : le génie religieux suffit à expliquer ses grandeurs comme la maladie ses faiblesses. » P. xix.

Ainsi la théorie de M. Delacroix consiste à substituer à l’intervention de la grâce divine, à laquelle les mystiques rapportent leurs états sublimes, une nature généreuse, des < dons » gratuits, qui fructifient spontanément bien au delà de nos efforts conscients, pour tout dire d’un mot : un Dieu immanent : « Le psychologue accorde pleinement au mystique que cette force interne qui le dirige n’est point sa volonté consciente ; que cette intelligence qui ordonne sa vie n’est point son intelligence réfléchie ; ses états dès lors sont bien la manifestation d’une puissance étrangère à sa conscience et supérieure, la réalisation progressive en lui d’un Dieu intérieur qui s’empare de lui, le pénètre et le transforme : mais ce Dieu n’est qu’un Dieu intérieur, ce divin, c’est le 6etov èv t)jxîv, le divin en lui ; il est encore de la nature et de l’activité psychologique : ce qui dépasse la conscience ordinaire, ce sont les forces subconscientes, qui peuvent prendre figure divine, au sens religieux du mot, lorsqu’elles unissent et la fécondité créatrice et la richesse morale, et la conformité à une tradition religieuse extérieure. » P. 62.

Mais ces forces subconscientes, ce Dieu immanent, ne sont-ils pas eux-mêmes en rapport avec le Dieu transcendant ? Delacroix « n’y incline point », bien que la chose lui paraisse possible : « Que cette subconscience serve de véhicule à une action vraiment extétieure, à la grâce d’un Dieu transcendant — hypothèse que formulait déjà Maine de Biran et qu’ont reprise bien des apologistes au courant des travaux de la psychologie — c’est une autre affaire. » P. 62. Mais James et même Leuba l’admettent à leur manière. Pour James, « le subconscient qui émerge d’une part dans la conscience claire, se continue, d’autre part, avec un monde plus vaste, qui le déborde et constamment l’influence. Cette réalité transsubliminale recevra d’ailleurs des déterminations diverses dans les diverses métaphysiques. Pour un chiélien, cette Réalité sera Dieu, dont la grâce, source de lumière et levier d’action, prendrait point d’appui sur le subconscient humain pour ébranler par contre-coup les facultés supérieures d’intellection et de vouloir. » Maréchal, op. cit., p. 106. Leuba, c. xiii de sa Psychologie des phénomènes religieux, se demande quelle est « la base philosophique nécessaire à la religion » de l’avenir ; il paraît se rallier à une conception analogue à l’Évolution créatrice de Bergson : « L’homme trouverait-il ce dont il a besoin dans une force décrite comme un élan courant à travers la matière, et tirant d’elle ce qu’il peut, une force apparaissant dans l’homme sous forme d’une conscience qui se cherche ? Telle est au moins la doctrine d’un des plus remarquables philosophes contemporains… Il est incontestable que l’humanité idéalisée, et conçue comme une manifestation de l’Énergie créatrice, est qualifiée par-dessus tout pour constituer une source d’inspiration religieuse. P. 392-393. — Pour l’exposé et l’appréciation de la théorie de Récéjac, voir Maréchal, op. cit., p. 168, 178. « L’explication psychologique des phénomènes mystiques par l’activité subconscicnlc, dit Leuba, a gagné aussi la faveur de bon nombre de théologiens… »

Cette hypothèse séduit malheureusement jusqu’à des savants qu’elle conduit à délaisser leur tâche — l’investigation des phénomènes — et à penser que le subconscient explique tout. Ce que dit Kant au sujet des hypothèses transcendentales est vrai de l’hypothèse subliminale : « Ces hypothèses ne font pas faire de progrès à la raison mais plutôt l’arrêtent dans sa marche ; elles rendent stériles tous les efforts qu’elle fait dans sa propre sphère qui est celle de l’expérience. En effet, lorsque l’explication des phénomènes naturels se trouve être malaisée, nous avons toujours à notre disposition un fonds d’explications transcendentales qui nous élève au-dessus de la nécessité d’observer patiemment la nature. » Psychologie des phén. religieux, p. 287. Il s’en prend surtout à James, p. 323-325 ; et Psychologie du mysticisme religieux, p. 436-438. « Faire appel à une subconscience dont les opérations échappent à toute étude précise, serait aussi vain et aussi peu scientifique que d’expliquer un phénomène quelconque en recourant à « Dieu », p 329 ; c’est « au même titre un appel à l’inconnu ». P. 360.

2. Discussion.

Les auteurs catholiques qui se montrent le plus enclins à accepter l’hypothèse d’une activité subconsciente pour l’explication au moins partielle des phénomènes mystiques, ne le font pas sans formuler des réserves importantes qui laissent la porte ouverte à des interventions divines.

Ils remarquent d’abord que cette activité subconsciente, comme l’entend l’école anglo-américaine, n’a pas encore conquis droit de cité incontestable en psychologie. M. Pacheu renvoie à ce sujet au Congrès international de psychologie tenu à Genève en 1909 ; cf. op. cit., p. 59, 294 : « On y touchera du doigt ce qu’il y a de prématuré à étendre trop imperturbablement à tant de faits d’une mentalité supérieure cette question du subconscient, née surtout dans la clinique psychiatrique et qui n’est pas encore assez mûre pour en sortir, selon le mot de M. Janet. » Ou, comme ajouta M. B. Leroy, … : « on ne saurait trop restreindre le sens des expressions subconscient et subconscience ; on ne saurait trop ménager l’application de l’hypothèse qu’ils impliquent ; d abord parce qu’elle n’est pas très souvent utile, et ensuite parce qu’elle n’explique vraiment pas grand’chose ; … c’est moins une hypothèse à proprement parler qu’une formule commode, une étiquette à coller sur certains faits, une façon abrégée de dire : ces faits ont pour l’observateur qui les voit du dehors l’aspect de manifestations parfaitement intelligentes, et pour le malade chez qui elles se produisent l’aspect de manifestations étrangères auxquelles sa personnalité ne prendrait aucune part. » P. 294-295.

Il ne paraît pas exagéré de dire, avec M. Leuba, que cette merveilleuse subconscience, ce Dieu intérieur, n’est en vérité qu’un Deus ex machina, créé pour les besoins de la cause : « La subconsciencc, invoquée par M. Delacroix, jouit en cllel d’un automatisme « dynamique et constructeur », et cette « subconscience créatrice, largement entendue, admet précisément les caractères que sainte Thérèse fixe avec tant de finesse et de précision. » Elle les admet d’autant mieux que son existence, douée de qualités si précieuses, est calquée sur les descriptions de la sainte et des autres grands mystiques. Supposée d’après leurs dires qu’il s’agit d’expliquer, elle leur est appliquée ensuite comme une explication qui leur suffit. Il y a vraiment là une lacune et une apparente pétition de principe ; on suppose ce qui est précisément en question. » Pacheu, p. 290.

On peut aussi objecter à cette théorie ce que l’on répond, dans la question du miracle, à l’invocation d’une cause naturelle inconnue, dernière ressource de