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Page:Alfred Vacant - Dictionnaire de théologie catholique, 1908, Tome 10.2.djvu/682

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MYSTIQUE, DISCERNEMENT DU SURNATUREL


ceux qui refusent d’admettre une intervention divine, cf. J. de Tonquédec, Introduction à l’élude du merveilleux et du miracle, 2° édition, p. 223. « S’il suffisait d’être doué de subconscience et d’avoir celle-ci dressée, prédisposée, comment expliquer que la subsconscience, après avoir agi et prouvé par là son existence, cesse soudain ses manifestations ; que souvent elles ne se reproduisent pas du tout pendant de longues années ; que peut-être elles seront, non seulement sporadiques, mais même uniques pendant une longue période de vingt ou trente ans ? Une cause purement naturelle qui a prouvé son existence, une prédisposition de la personne, qui est cultivée et dont les effets ne se reproduisent plus, n’est-ce pas singulier ? » Pacheu, op. cit., p. 286.

Plus grave encore est la critique de la théorie de M. Delacroix, instituée par le P. Maréchal ; au dire de ce dernier, elle ne respecte pas l’intégralité des faits à expliquer : « L’alternative se pose donc, ou de respecter intégralement les données d’observation immédiate fournies par les mystiques, et alors de dépasser le point de vue de M. Delacroix ; ou bien d’opter pour M. Delacroix, et de se résigner alors à récuser une partie des données susdites. » Éludes sur la psychologie des mystiques, p. 171 ; cf. p. 57, et Pinard, 1. 1, p. 421-425.

Il n’en est pas moins vrai que « bon nombre de théologiens », comme disait Leuba, et non seulement des protestants comme H. Bois, mais des catholiques, ont cru pouvoir utiliser la théorie de l’activité subconscient e pour l’explication des phénomènes mystiques, grâce à la concession faite par James, à propos de l’explication par le subconscient de certaines conversions réputées miraculeuses : « Je suppose qu’un croyant vienne me demander, à moi psychologue, si je n’exclus pas ainsi toute intervention directe de Dieu ; je lui répondrais franchement que la conséquence ne me paraît pas inévitable.. S’il existe, au-dessus du monde matériel, un monde spirituel qui le domine, on peut admettre que la conscience subliminale constitue un champ plus propice aux impressions spirituelles que la conscience ordinaire, tout absorbée, à l’état de veille, par les impressions matérielles vives et abondantes qui lui viennent des sens… Le sentiment qu’une puissance divine vous domine et vous fait agir, qui tient une si grande place dans l’expérience de la conversion, pourrait, dans cette hypothèse, être regardé comme légitime. Une force transcendante pourrait s’exercer directement sur l’individu, à condition qu’il possède un organe récepteur approprié, c’est-à-dire une conscience subliminale. » L’expérience religieuse, p. 205-206.

On conçoit que cette théorie ait pu séduire certains théologiens : de même que l’action ordinaire de la grâce échappe à la conscience, et ne se discerne pas des mécanismes psychologiques qui font naître en nous les bonnes pensées, les pieux sentiments, les salutaires résolutions, ainsi l’action extraordinaire de la grâce qui produit les phénomènes mystiques, emprunterait aussi l’intermédiaire d’un mécanisme psychologique spécial, cause instrumentale dont les effets peuvent être attribués à la cause principale. Cf. Pacheu, p. 277285 ; Maréchal, p. 52-53, 62-63 ; Leuba, Psychologie des phénomènes religieux, p. 286-288 : « De quelle manière Dieu agit dans l’âme. » Dans ce cas aussi, l’action de la grâce serait empiriquement indiscernable, et ne serait admise que par la foi, selon cette parole de Boutroux à propos de l’expérience religieuse : « Le phénomène essentiel est ici l’acte de foi par lequel, éprouvant certaines émotions, la conscience prononce que ces émotions lui viennent de Dieu. L’expérience religieuse n’est pas par elle-même objective. Mais le sujet lui donne une portée objective par la croyance qu’il y insère. » Cité par Leuba, op. cit., p. 312.

Qui ne voit que cette théorie aboutit à modifier totalement la notion que l’on s’était faite jusqu’ici, du caractère « surnaturel » des phénomènes mystiques ? C’est, transportée dans l’ordre psychologique, la conception protestante et moderniste du miracle ; cf. J. de Tonquédec, op. cit., p. 19-30 ; Hôfîding, Philosophie de la religion, p. 16-17. C’est le fait mystique ramené à un phénomène psychologique naturel en soi, que l’homme religieux considérera comme providentiel, en vertu de ce principe de foi : omne donum optimum desursum est, descendens a Pâtre luminum ; mais c’est aussi la ligne de démarcation effacée entre ce qui est mystique et ce qui ne l’est pas, au moins en ce qui concerne la modalité de 1 action divine, qui n’est plus regardée comme immédiate, extraordinaire, préter-naturelle.

/II. LE DISCERNEMENT DES PHÉNOMÈNES MYSTI-QUES « surnaturels ». — Il semble que les auteurs catholiques distinguent deux méthodes de discernement du mysticisme surnaturel, que nous pourrions nommer celle de l’examen de chaque phénomène particulier, et celle de l’appréciation d’une vie mystique envisagée dans sa totalité. « Il faut prouver, dit le P. Pinard, que les expériences dites religieuses, celles des » grands mystiques » par exemple, comportent des phénomènes irréductibles à l’activité subliminale (à l’activité psychologique naturelle, normale ou pathologique), ou montrer que le développement progressif de cette activité dans le sens de la moralité parfaite ou de la vérité absolue, rend certaine ou probable l’intervention d’un facteur divin qui la dirige. » L’étuæ comparée des religions, 1. 1, p. 418. Cf. Maréchal, p. 62, 252-253. Et l’on nous a rapporté que tel grand exorciste contemporain n’admettait guère que cette seconde méthode, pour juger du caractère surnaturel des phénomènes mystiques.

Cela équivaut pratiquement à recourir au critère des effets si souvent invoqué par sainte Thérèse. Est-ce une méthode vraiment scientifique ? Il ne le semble pas. Cf. M. de Montmorand, op. cit., p. 214-218 : « Ce pragmatisme instinctif (des mystiques, qui jugent par les effets de l’origine et de la qualité de leurs extases) ne s’accorde guère avec notre tempérament intellectuel. Nous n’admettons pas, qu’entre la notion d’utilité et celle de vérité, il y ait nécessairement corrélation ; et nous voudrions savoir — mais le pourrons-nous jamais ? — si, pour bienfaisante qu’on la suppose, l’expérience mystique n’est que pure illusion, ou si elle correspond, au moins dans certains cas, à quelque réalité objective. » P. 214. Nous ne le pourrons savoir qu’en examinant chaque cas particulier. La question du discernement des phénomènes mystiques « surnaturels » est connexe à celle du discernement du miracle ou de la révélation.

Essayant d’analyser les phénomènes de la vie spirituelle, le P. de Guibert distingue trois cas : « Premier cas : l’action, médiate ou immédiate, de Dieu dans l’âme se borne à lui faire plus vivement, plus intimement comprendre une vérité de la foi, à renforcer l’inclination qui la porte vers son Créateur ; c’est la consolation ordinaire… — Deuxième cas : comme dans le premier, le passage du discours, de l’oraison multiple, à la contemplation se fait sous l’influence de grâces, d’inspirations, d’actes indélibérés, produits par Dieu dans l’âme, mais qui n’introduisent pas en elle des éléments psychologiques entièrement nouveaux, qui ne la mettent pas en dehors de ses conditions naturelles d’activité, qui simplement viennent renforcer, approfondir, intensifier les lumières intellectuelles et les tendances effectives qu’elle avait déjà par l’exercice des vertus théologiques… — Troisième cas : Dieu, par son action immédiate dans l’âme, y produit la