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Page:Alfred Vacant - Dictionnaire de théologie catholique, 1908, Tome 10.2.djvu/688

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MYSTIQUE, QUESTIONS THÉOLOGIQUES


Il faut lire, à ce propos, les graves reproches faits par saint Jean de la Croix aux confesseurs ou directeurs imprudents, qui provoquent ou supportent de longs entretiens sur ces sujets avec leurs dirigés ou dirigées. La Montée du Carmel, t. II, c. xvi, p. 132-136.

Et qu’on ne perde pas son temps, ni surtout son calme dans l’examen des phénomènes : il n’y va pas d’une question de salut. Que si le phénomène n’apparaît pas d’emblée comme surnaturel, si l’on a quelque raison de douter, qu’on le considère plutôt comme naturel : on n’a rien à y perdre et tout à y gagner. Que si, au contraire, tout porte à croire qu’il y ait là du mystique vraiment surnaturel, eh bient soit ! qus l’on croie pieusement que l’on a été l’objet d’une faveur surnaturelle, que l’on se tienne à cette croyance et que l’on agisse en conséquence. Il n’y a pas de mal à y croire, répète à plusieurs reprises sainte Thérèse, même si l’on n’en est pas tout à fait certain ; cf. Château, IVe D., ci, p. 143 ; Ve D., c. i, p. 174 : « Atout le moins suis-je persuadée qu’il ferme absolument la porte de son âme à ces faveurs, celui qui n’est pas convaincu que le pouvoir de Dieu s’étend bien au delà, et qu’il a daigné, qu’il daigne encore quelquefois se communiquer ainsi à ses créatures. Donc, mes sœurs, que cela ne vous arrive jamais. Croyez, au contraire, que le pouvoir de Dieu va bien plus loin encore. » VIe D., c. ni, p. 226 ; c. ix, p. 293. La chose est possible, en effet, et ne doit pas plus nous étonner que tant d’autres bienfaits que nous recevons continuellement de la libéralité divine ; c’est une grâce actuelle plus forte que les grâces ordinaires, un secours plus puissant, un appel plus pressant à nous sanctifier.

Toutefois, s’il n’y a pas de mal à y croire, il faut aussi se rendre compte des dangers que de pareilles faveurs peuvent faire courir aux âmes, des obligations nouvelles qu’elles leur imposent. Les dangers sont nombreux, cf. Farges, Les phénomènes mystiques, t. i, p. 263-265 : danger d’orgueil : « N’oubliez pas non plus que l’âme, quand elle voit ce qui lui arrive d’extraordinaire, laisse souvent se glisser en elle, quoique secrètement, une excellente opinion d’elle-même, et se plaît à se regarder comme étant déjà quelque chose devant Dieu, ce qui détruit l’humilité », La montée du Carmel, t. II, c. x, p. 92 ; on y obviera, en se rappelant que les faveurs mystiques ne sont pas tant des marques de sainteté que des appels à la sainteté. « Elles (les prieures) ne doivent pas non plus se figurer que pour être favorisées de grâces de ce genre, une sœur en soit meilleure que les autres. Le Seigneur conduit chacun suivant qu’il le juge nécessaire. Ces faveurs, si l’on y répond, peuvent aider à devenir vraie servante de Dieu, mais parfois ce sont les plus faibles que le Seigneur conduit par ce chemin. Il ne faut donc ni approuver, ni condamner, mais considérer la vertu. Celle-là sera la plus sainte qui servira Notre-Seigneur avec plus de mortification, d’humilité et de pureté de conscience. » Château, VI 8 D., c. viii, p. 285.

Danger de mésusage des faveurs mystiques, de recherche avide et stérile des jouissances, de relâchement dans l’effort personnel, de quiétisme, saint Jean de la Croix fait dériver toutes ces déviations du mysticisme de ce qu’il appelle l’esprit de propriété, l’appropriation des faveurs surnaturelles : « Les grâces et faveurs divines se perdent, car l’âme en se les appropriant ne les utilise pas comme elle devrait. Agir ainsi en négligeant ce qu’elles ont d’utile, c’est vouloir s’en emparer, et Dieu ne les accorde pas pour que l’âme en fasse sa propriété. » La montée du Carmel, t. II, c. x, 1. 1, p. 94. On y obviera en se rendant compte des responsabilités qui pèsent sur l’âme du fait d’avoir reçu des faveurs surnaturelles : « Pour recevoir beaucoup de faveurs de ce genre, une âme ne mérite pas plus de gloire, mais elle est obligée, tout au contraire,

à servir plus parfaitement Celui dont elle reçoit davantage. » Château, VI 8 D., c. ix, p. 296-297. « Plus elles se voient favorisées de Sa Majesté, plus elles s’effraient, plus elles se défient d’elles-mêmes ; et comme ses grandeurs leur ont fait mieux connaître leurs misères, mieux révélé aussi la gravité de leurs offenses, il leur arrive souvent de n’oser, comme le publicain, lever seulement les yeux. D’autres fois elles appellent la fin de leur vie, afin de se voir en sûreté ; mais aussitôt, l’amour qu’elles ont pour Dieu leur fait souhaiter de vivre encore afin de le servir, et elles s’en remettent à sa miséricorde de tout ce qui les concerne. » Ibid., VII 8 D., c. ni, p. 339. En un mot le vrai mystique sera celui qui unira les rôles de Marie et de Marthe, qui puisera dans les communications divines la force de se dévouer sans mesure à la gloire de Dieu et au bien de ses frères ; c’est la conclusion à laquelle aboutit sainte Thérèse, ibid., c. iv.

Nous ne pouvons mieux terminer qu’en reproduisant cet authentique portrait du vrai mystique qu’en a tracé quelqu’un qui fut à même de l’observer : « Les mystiques sont des âmes qui ont des ailes ; les autres en sont réduits à marcher sur le sol… Tout naturellement elle (l’âme que Dieu a favorisée de la grâce mystique) plane au-dessus des contingences de la vie ; avec aisance elle fait des sacrifices dont tout autre frémirait… Aussi l’on peut demander beaucoup à des mystiques : l’héroïsme leur est comme naturel. — Un autre trait commun aux mystiques, c’est leur parfaite droiture et lucidité d’esprit, dans tout ce qui concerne la perfection… Inhabile parfois dans les affaires de cette vie, il a le sens des choses de l’âme, car il porte en lui un esprit de lumière. — J’ai toujours été frappé aussi de la parfaite obéissance de ces âmes favorisées… Il n’est nullement nécessaire de stimuler ce genre d’âmes, ni de les consoler ; il suffit de les diriger : le Saint-Esprit se charge de leur donner du courage et de l’élan… — En général aussi… les mystiques, dès qu’ils sentent les premières touches de l’Esprit, sont saisis d’une pudeur spéciale qui les porte à tenir caché à tous « le secret du Roi »… Cette réserve m’a toujours paru un bon signe. Au contraire, les mystiques verbeux et avides de s’épancher m’ont toujours laissé sceptique et défiant. — Je ne dirai rien de la grande humilité des mystiques : c’est un trait que tout le monde a relevé… » P. S., Revue d’ascétique et de mystique, 1920, p. 275-276.

Nous n’avons pas l’intention de reproduire ici la Bibliographie annexée au Traité des Grâces d’oraison du P. Poulain, ni les Notes bibliographiques sur la contemplation infuse, qui lui servent de Supplément, par le P. Scheuer ; cf. Reoue d’ascétique et de mystique, 1923-1924. Les anciens auteurs ne seront donc pas mentionnés ici.

Parmi les modernes, nous ferons un choix : nous indiquerons ceux qui nous paraîtront les plus utiles ou les plus faciles à consulter, pour un lecteur français notamment, ou les plus représentatifs dans les deux principales écoles théologiques, entre lesquelles se partagent actuellement les théoriciens catholiques de la mystique. Pour les ouvrages mentionnés au cours de l’article, nous indiquerons ici l’édition que nous avons utilisée. Nous nous servirons des abréviations suivantes : R.A.M. = Revue d’ascétique et de mystique ; R.S.P. T. = Revue des sciences philosopliiques et théologiques ; V. S.— La vie spirituelle ascétique et mystique. Les ouvrages dont le lieu de l’édition ne sera pas signalé, ont été publiés à Paris. — N. B. Cette bibliographie, sauf deux exceptions, ne comprend que des ouvrages ou articles antérieurs a juillet 1926, date à laquelle cet article a été terminé.

Ami du Clergé, 1<" avril 1909, 8 déc. 1921, 3 janv. et 17 juil. 1924, 8 et 15 janv. 1925 ; J.-G. Arintero, Cuesliones misticas, Salamanque, 1920 ; La Evolucion mistica, ibid., 1921 ; R. Arnou, Le désir de Dieu dans lu » liilosophie de Plotin, 1921 ; A. Auger, Étude sur les mystiques des Pays-Bas au Moyen Age, Bruxelles, 1892.

J. Y. Bainvel, Introduction à lu 10e édition des Grâces