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Page:Alfred de Vigny - Cinq-Mars, Lévy, 1863.djvu/166

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dont je supplie Votre Majesté de se servir, car ceux de sa garde sont égarés en avant par le marquis de Coislin, toujours trop zélé. Joseph, va lui dire de revenir.

Il parla bas au capucin, qui l’avait accompagné affublé d’un habit militaire qu’il portait gauchement, et qui s’avança aussitôt dans la plaine.

Cependant les colonnes serrées de la vieille infanterie espagnole sortaient de la porte Notre-Dame comme une forêt mouvante et sombre, tandis que par une autre porte une cavalerie pesante sortait aussi et se rangeait dans la plaine. L’armée française, en bataille au pied de la colline du Roi, sur des forts de gazon et derrière des redoutes et des fascines, vit avec effroi les Gens d’armes et les Chevau-légers pressés entre ces deux corps dix fois supérieurs en nombre.

— Sonnez donc la charge ! cria Louis XIII, ou mon vieux Coislin est perdu.

Et il descendit la colline avec toute sa suite, aussi ardente que lui ; mais, avant qu’il fût au bas et à la tête de ses Mousquetaires, les deux Compagnies avaient pris leur parti ; lancées avec la rapidité de la foudre et au cri de vive le Roi ! elles fondirent sur la longue colonne de la cavalerie ennemie comme deux vautours sur les flancs d’un serpent, et, faisant une large et sanglante trouée, passèrent au travers pour aller se rallier derrière le bastion espagnol, comme nous l’avons vu, et laissèrent les cavaliers si étonnés, qu’ils ne songèrent qu’à se reformer et non à les poursuivre.

L’armée battit des mains ; le Roi étonné s’arrêta ; il regarda autour de lui, et vit dans tous les yeux le brûlant désir de l’attaque ; toute la valeur de sa race étincela dans les siens ; il resta encore une seconde comme en suspens, écoutant avec ivresse le bruit du canon, respirant et savourant l’odeur de la poudre ; il semblait re-