Page:Alfred de Vigny - Cinq-Mars, Lévy, 1863.djvu/167

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

prendre une autre vie et redevenir Bourbon ; tous ceux qui le virent alors se crurent commandés par un autre homme, lorsque, élevant son épée et ses yeux vers le soleil éclatant, il s’écria :

— Suivez-moi, braves amis ! c’est ici que je suis roi de France !

Sa cavalerie, se déployant, partit avec une ardeur qui dévorait l’espace, et, soulevant des flots de poussière du sol qu’elle faisait trembler, fut dans un instant mêlée à la cavalerie espagnole, engloutie comme elle dans un nuage immense et mobile.

— À présent, c’est à présent ! s’écria de sa hauteur le Cardinal avec une voix tonnante : qu’on arrache ces batteries à leur position inutile. Fabert, donnez vos ordres : qu’elles soient toutes dirigées sur cette infanterie qui va lentement envelopper le Roi. Courez, volez, sauvez le Roi !

Aussitôt cette suite, auparavant inébranlable, s’agite en tous sens ; les généraux donnent leurs ordres, les aides de camp disparaissent et fondent dans la plaine, où, franchissant les fossés, les barrières et les palissades, ils arrivent à leur but presque aussi promptement que la pensée qui les dirige et que le regard qui les suit. Tout à coup les éclairs lents et interrompus qui brillaient sur les batteries découragées deviennent une flamme immense et continuelle, ne laissant pas de place à la fumée qui s’élève jusqu’au ciel en formant un nombre infini de couronnes légères et flottantes ; les volées du canon, qui semblaient de lointains et faibles échos, se changent en un tonnerre formidable dont les coups sont aussi rapides que ceux du tambour battant la charge ; tandis que, de trois points opposés, les rayons larges et rouges des bouches à feu descendent sur les sombres colonnes qui sortaient de la ville assiégée.