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Page:Alfred de Vigny - Cinq-Mars, Lévy, 1863.djvu/78

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elle cet ouvrage écrit de la main d’Urbain Grandier.

Et il tira de ses papiers un livre couvert en parchemin.

— Ciel ! s’écria Urbain de son banc.

— Prenez garde ! s’écrièrent les juges aux archers qui l’entouraient.

— Le démon va sans doute se manifester, dit le Lactance d’une voix sinistre ; resserrez ses liens.

On obéit.

Le lieutenant criminel continua : — Elle se nommait Madeleine de Brou, âgée de dix-neuf ans.

— Ciel ! ô ciel ! c’en est trop ! s’écria l’accusé, tombant évanoui sur le parquet.

L’assemblée s’émut en sens divers ; il y eut un moment de tumulte. — Le malheureux ! il l’aimait, disaient quelques-uns. Une demoiselle si bonne ! disaient les femmes. La pitié commençait à gagner. On jeta de l’eau froide sur Grandier sans le faire sortir, et on l’attacha sur la banquette. Le rapporteur continua :

— Il nous est enjoint de lire le début de ce livre à la cour. Et il lut ce qui suit :

« C’est pour toi, douce et belle Madeleine, c’est pour mettre en repos ta conscience troublée, que j’ai peint dans un livre une seule pensée de mon âme. Elles sont toutes à toi, fille céleste, parce qu’elles y retournent comme au but de toute mon existence ; mais cette pensée que je t’envoie comme une fleur vient de toi, n’existe que par toi, et retourne à toi seule.

« Ne sois pas triste parce que tu m’aimes ; ne sois pas affligée parce que je t’adore. Les anges du ciel, que font-ils ? et les âmes des bienheureux, que leur est-il promis ? Sommes-nous moins purs que les anges ? nos âmes sont-elles moins détachées de la terre qu’après la mort ? Ô Madeleine ! qu’y a-t-il en nous dont le regard du Seigneur