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Page:Alfred de Vigny - Cinq-Mars, Lévy, 1863.djvu/79

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s’indigne ? Est-ce lorsque nous prions ensemble, et que, le front prosterné dans la poussière devant ses autels, nous demandons une mort prochaine qui nous vienne saisir durant la jeunesse et l’amour ? Est-ce au temps où, rêvant seuls sous les arbres funèbres du cimetière, nous cherchions une double tombe, souriant à notre mort et pleurant sur notre vie ? Serait-ce lorsque tu viens t’agenouiller devant moi-même au tribunal de la pénitence, et que, parlant en présence de Dieu, tu ne peux rien trouver de mal à me révéler, tant j’ai soutenu ton âme dans les régions pures du ciel ? Qui pourrait donc offenser notre Créateur ? Peut-être, oui, peut-être seulement, je le crois, quelque esprit du ciel aurait pu m’envier ma félicité, lorsqu’au jour de Pâques je te vis prosternée devant moi, épurée par de longues austérités du peu de souillure qu’avait pu laisser en toi la tache originelle. Que tu étais belle ! ton regard cherchait ton Dieu dans le ciel, et ma main tremblante l’apporta sur tes lèvres pures que jamais lèvre humaine n’osa effleurer. Être angélique, j’étais seul à partager les secrets du Seigneur, ou plutôt l’unique secret de la pureté de ton âme ; je t’unissais à ton Créateur, qui venait de descendre aussi dans mon sein. Hymen ineffable dont l’Éternel fut le prêtre lui-même, vous étiez seul permis entre la Vierge et le Pasteur ; la seule volupté de chacun de nous fut de voir une éternité de bonheur commencer pour l’autre, et de respirer ensemble les parfums du ciel, de prêter déjà l’oreille à ses concerts, et d’être sûrs que nos âmes dévoilées à Dieu seul et à nous étaient dignes de l’adorer ensemble.

« Quel scrupule pèse encore sur ton âme, ô ma sœur ? Ne crois-tu pas que j’aie rendu un culte trop grand à ta vertu ? crains-tu qu’une si pure admiration ne m’ait détourné de celle du Seigneur ?… »