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Page:Allais - L’Arroseur.djvu/101

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L’ARROSEUR

« Loin des plaisirs mondains et frivoles, je me retrempe à l’étude des questions techniques susceptibles de rendre service à la France.

« Je ne me suis pas endormi sur les lauriers de ma bicyclette de montagne, j’ai travaillé le fusil et j’ai la prétention d’être arrivé à ce qu’on appelle quelque chose.

« Un article publié au commencement de ce mois dans les journaux, parlait louangeusement d’une nouvelle balle évidée de calibre cinq millimètres.

« Si la réduction du calibre produit des résultats si merveilleux, pourquoi ne pas arriver carrément au calibre un millimètre ?

« Un millimètre ! vous récriez-vous. Une aiguille, alors ?

« Parfaitement, une aiguille !

« Et comme toute aiguille qui se respecte a un chas[1] et que tout chas est fait pour être enfilé, j’enfile dans le chas de mon aiguille un solide fil de 3 kilomètres de long, de telle sorte que mon aiguille traversant 15 ou 20 hommes, ces 15 ou 20 hommes se trouvent enfilés du même coup.

« Le chas de mon aiguille — j’oubliais ce détail — est placé au milieu (c’est le cas, d’ailleurs, de beaucoup de chas), de façon qu’après avoir traversé son dernier homme, l’aiguille se place d’elle-même en travers.

« Remarquez que le tireur conserve toujours le bon bout de fil.

  1. Beaucoup de personnes, dévorées par le Démon de l’Analogie, disent le chat d’une aiguille. Ces personnes ont tort : on doit écrire le chas.

    Bescherelle, que je viens de consulter pour illuminer ma religion, ajoute une notice rétrospective et suggestive éminemment :

    « Se disait autrefois de la fente entre deux poutres. On dit maintenant travée.

    Travée… j’aurais beaucoup de peine à me faire à ce mot-là.