Aller au contenu

Page:Allais - L’Arroseur.djvu/80

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
78
L’ARROSEUR

Wilhelmine manifesta le désir de courir dans la dune avec ses pieds nus. L’institutrice française aida Sa Majesté à se déchausser.

Mais, hélas ! la charmante monarquette ne sut aller bien loin, la peau de ses pauvres et délicats petits pieds se refusant à un exercice aussi inhabituel.

— Que n’ai-je, ragea-t-elle, la rude peau des pieds de ces bébés indigents !

Un vieux courtisan qui passait par là entendit le royal propos et se jura d’exaucer, dans la mesure du possible, le vœu de sa jeune souveraine.

Il choisit, parmi les enfants du pays, une fillette dont la pointure était exactement celle de la reine, l’installa confortablement chez lui et fit venir un célèbre chirurgien de ses amis.

Si vous êtes un peu au courant des progrès de la chirurgie, vous savez que c’est maintenant un jeu d’enfant d’enlever la peau des gens en vie, aussi facilement, et sans plus de souffrance, qu’on dépiaute un lapin mort.

Ce fut l’opération qu’on fit à la petite pauvresse, préalablement nettoyée et blanchie.

On lui leva la peau des pieds jusqu’à la cheville, de façon à former deux mignonnes sandales.

Un léger tannage à l’alun et ça y était !

Quant à la petite opérée, grâce à d’habiles pansements antiseptiques, quinze jours après, elle était sur ses pieds… ses pieds garnis d’une peau toute neuve et toute rose.

La jeune reine, à la vue des sandales naturelles, manifesta une vive allégresse, et, tout de suite, elle voulut les chausser.

Fort heureusement, la vieille gouvernante hollandaise, toujours souffrante, était encore remplacée par l’institutrice française.