Aller au contenu

Page:Améro - Les aventuriers de la mer.pdf/114

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
111
LES AVENTURIERS DE LA MER


marins, n’ayant plus à combattre leur élément propre, contre lequel ils sont aguerris, se sentent pris au dépourvu, réduits à l’impuissance d’agir.

Maintenant ce sont les flammes qui gagnent de vitesse, mêlées à une fumée qui s’étend partout, aveuglante et suffocante. Certains bateaux d’une construction spéciale, que portent les navires de transport, se trouvent vite trop hors de portée pour être utilisés. Au milieu d’un effroyable désordre, bien plus grand même que lors d’une collision, chacun se précipite dans les embarcations, au risque de les faire chavirer, — ce qui a lieu presque toujours.

Dans l’incendie d’un vaisseau français de la Compagnie des Indes, le capitaine avait ordonné de mettre les embarcations à la mer ; mais l’effroi paralysait tellement les plus intrépides matelots qu’ils ne pesaient que très difficilement sur les palans. La chaloupe fut néanmoins hissée à hauteur suffisante et on allait l’amener à la mer, quand le feu monta le long du mât avec tant de rapidité et de violence que les garans de la licorne furent brûlés, et que l’embarcation tomba sur les canons de tribord, se renversant de telle manière qu’on perdit tout espoir de la relever.

D’autres fois, plusieurs hommes réussissent à s’emparer d’une embarcation et s’éloignent à quelque distance, demeurant témoins épouvantés du spectacle qu’ils ont sous leurs yeux.

D’ailleurs, les ordres donnés par les officiers se perdent dans les cris de désespoir et de terreur, le tumulte, le crépitement de l’incendie. Chacun en est bientôt réduit à se sauver soi-même, sans l’apparence d’un moyen de salut, et ceux qui veulent tenter quelque chose, se heurtent à l’inertie de gens consternés, incapables, dans l’accablement de leur esprit, de se prêter même à une mesure utile. Ceux-là s’affaissent ensuite dans un coin pour y mourir, et remplissent l’air de leurs gémissements.

Quand toute retraite est coupée, c’est à qui s’attachera au dehors aux parties saillantes du navire. Sous une pluie d’étincelles et brandons des grappes humaines se forment et demeurent suspendues aux cordages flottants ; les mâts enflammés, les vergues que ne retiennent plus les agrès atteints par la flamme, croulent sur les victimes du sinistre, les meurtrissant, les tuant, les emportant à la mer.

Il est presque certain que la manœuvre du gouvernail a été laissée sans direction. Alors le navire, par le mouvement de la mer, tourne