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LES AVENTURIERS DE LA MER


obstinément sa proue au vent, et cette position, favorable au développement de l’incendie, fait courir de l’avant à l’arrière les flammes et une fumée brûlante.

Que reste-t-il à faire ? Faut-il attendre la mort par le feu, ou mettre fin à son agonie en cherchant la mort dans les flots ? La nuit, la mer aussi semble de feu ; tout autour du navire embrasé les vagues reflètent la lueur de l’incendie. C’est à cette mer lugubre que quelques-uns abandonnent leur sort : vergues, espars, cages à poules, serviront peut-être à prolonger de quelques instants une existence qui ne tient plus à rien.

Il est arrivé que, sur des navires de guerre, les canons chargés partaient d’eux-mêmes : les détonations ajoutaient à l’horreur du tableau et les boulets emportaient quelques-uns de ces malheureux luttant contre les flots à l’aide d’un débris du navire incendié. Et pour ces navires-là, la catastrophe finale c’est l’explosion lorsque le feu arrive aux poudres.

Un survivant à l’incendie du vaisseau le Prince — dont nous aurons à parler, — a essayé d’exprimer avec quel fracas ce navire sauta en l’air : « Un nuage épais, dit-il, nous déroba la lumière du soleil : dans cette affreuse obscurité, nous n’aperçûmes que de grosses pièces de bois en feu lancées au milieu des airs, et dont la chute menaçait d’écraser nombre de malheureux qui luttaient encore contre les dernières atteintes de la mort. Nous n’étions pas nous-mêmes à l’abri des plus grandes frayeurs : un de ces débris pouvait nous atteindre et engloutir notre frêle nacelle. Mais le ciel, en nous préservant de ce dernier malheur, nous offrit le plus triste spectacle. Le vaisseau avait disparu, et ses débris, dispersés dans une très grande étendue, flottaient épars avec les infortunés dont leur chute avait terminé le désespoir avec la vie. Nous voyions des hommes, les uns entièrement étouffés, d’autres à demi brûlés et déchirés, conservant encore assez de vie pour souffrir deux supplices à la fois. »

Le dernier relevé des sinistres maritimes que nous avons sous les yeux mentionne pour une année seule, 179 incendies, sur lesquels 52 ayant causé la perte des navires. Que d’épreuves ! que d’angoisses ! Que de douleurs et de misères ces chiffres représentent !

On le comprend : chaque navire incendié n’a pas son histoire ; mais on a gardé le souvenir de quelques-uns de ces drames qui s’accomplissent entre le ciel et l’eau.